Quand ils sont venus
chercher les communistes

Je n'ai rien dit

Je n'étais pas communiste

Quand ils sont venus

chercher les syndicalistes

Je n'ai rien dit

Je n'étais pas syndicaliste

Quand ils sont venus

chercher les juifs

Je n'ai rien dit

Je n'étais pas juif

Quand ils sont venus

chercher les catholiques

Je n'ai rien dit

Je n'étais pas catholique

     

Puis ils sont venus me chercher

Et il ne restait plus personne

pour dire quelque chose.

 

Louis Needermeyer

 

***

 

 

Être gouverné, c'est être gardé à vue, inspecté, espionné, dirigé, légiféré, réglementé, parqué, endoctriné, prêché, contrôlé, estimé, apprécié, censuré, commandé, par des êtres qui n'ont ni le titre, ni la science, ni la vertu. Être gouverné, c'est être à chaque opération, à chaque transaction, à chaque mouvement, noté, enregistré, recensé, tarifé, timbré, toisé, coté, cotisé, patenté, licencié, autorisé, apostillé, admonesté, empêché, réformé, redressé, corrigé. C'est, sous prétexte d'utilité publique, et au nom de l'intérêt général, être mis à contribution, exercé, rançonné, exploité, monopolisé, contusionné, pressuré, mystifié, volé; puis, à la moindre résistance, au premier mot de la plainte, réprimé, amendé, vilipendé, vexé, traqué, houspillé, assommé, désarmé, garrotté, emprisonné, fusillé, mitraillé, jugé, condamné, déporté, sacrifié, vendu, trahi, et pour comble, joué, berné, outragé, déshonoré. Voilà le gouvernement, voilà sa justice, voilà sa morale !

O personnalité humaine ! Se peut-il que pendant soixante siècles tu aies croupi dans cette abjection?

 

Pierre Joseph Proudhon

 

***

Si même…

 

Si même il ne restait qu'un écriteau sur terre :

« défense de pêcher car c'est notre rivière » :

             nous serions révolutionnaires.

 

Si même il ne restait qu'un prince sur la terre,

qu'un prince et sa couronne et son divin mystère,

             nous serions révolutionnaires.

 

Si même il ne restait, aux confins de la terre,

qu'un douanier gardant un mètre de frontière,

           nous serions révolutionnaires.

 

Si même il ne restait qu'un canon sur la terre,

rien qu'un canon et rien qu'un dernier jour de guerre,

          nous serions révolutionnaires.

 

Si même il ne restait qu'un bagne sur la terre,

qu'une seule catin, qu'une seule misère,

          nous serions révolutionnaires.

 

               Et s'il ne restait sur la terre,

               Sur terre, parmi nous enfin

               qu'un prolétaire avec sa faim,

               nous serions révolutionnaires.

Robert Camo

 

***

 

 

J'avais faim et vous faisiez le tour de la Lune.

J'avais faim et vous m'avez dit d'attendre.

J'avais faim et vous avez créé une commission.

J'avais faim et vous parliez d'autre chose.

 

J'avais faim

et vous m'avez dit :

« II n'y a pas de raison. »

J'avais faim

et vous aviez des factures de napalm à payer.

J'avais faim et vous m'avez dit :

« Maintenant des machines font ce genre de travail.

J'avais faim et vous avez dit :

« La loi et l'ordre avant tout.»

J'avais faim et vous avez dit :

« II y a toujours des pauvres.»

J'avais faim et vous avez dit :

« C'est la faute des communistes.»

J'avais faim et vous avez dit :

« Mes ancêtres avaient faim aussi.»

J'avais faim et vous avez dit :

«Après trente-cinq ans, on n'embauche plus.»

J'avais faim et vous avez dit :

« Dieu leur vienne en aide.»

J'avais faim et vous avez dit :

« Désolé, repassez demain.»

 

Anonyme

 

Ne pense jamais : à quoi bon ! Ce n'est qu'une bête!

Ne pense jamais : c'est bien fait ; il l'avait mérité.

Ne pense jamais : ils sont trop ; peut-on les secourir tous ?

Ne pense jamais : cela ne me regarde pas.

Mais plains deux fois celui qui est toute chair et souffre tout entier ;

celui qui est coupable et deux fois malheureux.

Soulage parmi tant d'autres celui qui se trouve à ta portée,

- qui n'est pas soulagé de ce que d'autres souffrent

- car il souffre de sa souffrance seule -

car il n'y a qu'une souffrance et tu ne peux la soulager qu'en lui.

Sache que toute souffrance te regarde, ô mortel !

 

Lanza del Vasto

***

Pater noster

Notre Père qui êtes aux cieux
Restez-y
Et nous nous resterons sur la terre
Qui est quelquefois si jolie
Avec ses mystères de New York
Et puis ses mystères de Paris
Qui valent bien celui de la Trinité
Avec son petit canal de l'Ourcq
Sa grande muraille de Chine
Sa rivière de Morlaix
Ses bêtises de Cambrai
Avec son Océan Pacifique
Et ses deux bassins aux Tuileries
Avec ses bons enfants et ses mauvais sujets
Avec toutes les merveilles du monde
Qui sont là
Simplement sur la terre
Offertes à tout le monde
Éparpillées
Émerveillées elles-même d'être de telles merveilles
Et qui n'osent se l'avouer
Comme une jolie fille nue qui n'ose se montrer
Avec les épouvantables malheurs du monde
Qui sont légion
Avec leurs légionnaires
Aves leur tortionnaires
Avec les maître de ce monde
Les maître avec leurs prêtres leurs traîtres et leurs reîtres
Avec les saisons
Avec les années
Avec les jolies filles et avec les vieux cons
Avec la paille de la misère pourrissant dans l'acier des canons

Prévert

***

 

 

QUARTIER LIBRE

 

 

J'ai mis mon képi dans la cage
et je suis sorti avec l'oiseau sur la tête
Alors
on ne salue plus
a demandé le commandant
Non on ne salue plus
a répondu l'oiseau
Ah bon
excusez-moi je croyais qu'on saluait
a dit le commandant
Vous êtes tout excusé tout le monde peut se tromper
a dit l'oiseau.

Prévert

 

Le discours sur la paix.

 

Vers la fin d'un discours extrêmement important
le grand homme d'État trébuchant
sur une belle phrase creuse
tombe dedans
et désemparé la bouche grande ouverte
haletant
montre les dents
et la carie dentaire de ses pacifiques raisonnements
met à vif le nerf de la guerre
la délicate question d'argent.

Prévert

***

 

 

Paris ma Rose

 

Où est passé Paris ma rose ?
Paris sur Seine la bouclée ?
Sont partis emportant la clé
Les longs chalands du long des quais
Paris ma rose.
Où sont-ils passée Villon et ses filles ?
Où est-il passé Jeunin l'avenue ?
Et le Chemin vert, qu'est-il devenu,
Lui qui serpentait près de la Bastille ?

Où est passé Paris la grise ?
Paris sur brume, la mouillée ?
L'est partie Paris l'oubliée
Partie sur la pointe des pieds
Paris la grise.
Où sont-ils passés ceux qui fraternisent ?
Avec les murailles et les graffitis ?
Ces soleils de craie où sont-ils partis,
Qui faisaient l'amour au mur des églises ?

Où est passée Paris la rouge ?
La commune des sans-souliers ?
S'est perdue vers Aubervilliers
Où vers Nanterre l'embourbée
Paris la rouge.
Où est-il passé Clément des cerises ?
Est-elle fermée la longue douleur,
Du temps où les gars avaient si grand coeur,
Qu'on n'voyait que lui autour des chemises ?

Où est passé Paris que j'aime ?
Paris que j'aime et qui n'est plus.

H Gougaud

***

Le temps des cerises ( chant de la commune de Paris)

Quand nous en serons au temps des cerises
Et gai rossignol et merle moqueur
Seront tous en fête
Les belles auront la folie en tête
Et les amoureux du soleil au cœur
Quand nous chanterons le temps des cerises
Sifflera bien mieux le merle moqueur

Mais il est bien court le temps des cerises
Où l'on s'en va deux cueillir en rêvant
Des pendants d'oreilles
Cerises d'amour aux robes pareilles
Tombant sous la feuille en gouttes de sang
Mais il est bien court le temps des cerises
Pendants de corail qu'on cueille en rêvant

Quand vous en serez au temps des cerises
Si vous avez peur des chagrins d'amour
Evitez les belles
Moi qui ne crains pas les peines cruelles
Je ne vivrai pas sans souffrir un jour
Quand vous en serez au temps des cerises
Vous aurez aussi des chagrins d'amour

J'aimerai toujours le temps des cerises
C'est de ce temps-là que je garde au coeur
Une plaie ouverte
Et Dame Fortune, en m'étant offerte
Ne saura jamais calmer ma douleur

J'aimerai toujours le temps des cerises
Et le souvenir que je garde au coeur

Jean baptiste Clément

 

***

A Besançon

Au début des années 70, les ouvriers et les ouvrières de l'entreprise d'horlogerie Lip, à Besançon, entrent dans un long combat syndical, pour éviter la fermeture de leur usine.

 

A Besançon, cette année-là, un millier d'hommes et de femmes se sont levés

Est-ce qu'on fait des vers avec l'actualité immédiate

Poète, est-ce ton rôle de témoigner pour le feu qui naît

Est-ce qu'on peut écrire des chansons sur ces femmes

Qui se sont mises en dimanche pendant huit mois parce qu'il fallait

Montrer qu'on était des gens respectables

Et que la grève ce n'est pas le laisser-aller mais la rigueur

 

Tu fais donc des vers avec la dignité des autres

Poète, depuis ta chambre parmi tes bouquins

Est-ce qu'il est digne de saluer la classe ouvrière

De loin quand peut-être tes vers elle n'y comprendra rien

 

II va bien falloir s'y résoudre

L'étincelle ce n'est pas moi

Je vais de ville en ville

Je porte le feu je suis le sang

 

O jeunes femmes qui descendiez sur Besançon

Cette année-là vers le quinze août en portant comme un sacrifice

Vos clameurs car c'était la première fois et vous aviez un peu peur

Je reste au bord de vous, timide, n'osant rien faire

Est-ce qu'on peut faire des vers avec la gravité de vos gestes et votre honneur

 

Vous vous êtes mis debout. Soudain vous étiez devenus l'espoir du monde

L'espoir du monde, vous, petite dame coquette et sans histoires sans passion

Le premier jour l'un de vous a dit : la grève sera longue

C'est avec les pieds dans la neige que nous finirons

C'est donc facile de faire des vers sur le courage et sur la peur

 

On fait des vers avec l'espoir avec la vie

Avec les ongles qui s'accrochent au réel

Avec des mots qui m'ont été soufflés cet hiver

À Besançon parce que le vent souffle dans le dos du poète

Et le crible de mots qui ne lui appartiennent pas.

 

Jacques Bertin, «Plain-chant, Pleine page», Chansons et Poèmes, 1968-1992, éd. Arléa-Velen, 1992.

 

***

Afrique

David Diop est né à Bordeaux d'un père sénégalais et d'une mère camerounaise.

                                                                                                   A ma mère

Afrique mon Afrique

Afrique des fiers guerriers dans les savanes ancestrales

Afrique que chante ma grand-Mère

Au bord de son fleuve lointain

Je ne t'ai jamais connue

Mais mon regard est plein de ton sang

Ton beau sang noir à travers les champs répandu

Le sang de ta sueur La sueur de ton travail

Le travail de l'esclavage

L'esclavage de tes enfants

Afrique dis-moi Afrique

Est-ce donc toi ce dos qui se courbe

Et se couche sous le poids de l'humilité

Ce dos tremblant à zébrures rouges

Qui dit oui au fouet sur les routes de midi

Alors gravement une voix me répondit

Fils impétueux cet arbre robuste et jeune

Cet arbre là-bas

Splendidement seul au milieu des fleurs blanches et fanées

C'est l'Afrique ton Afrique qui repousse

Qui repousse patiemment obstinément

Et dont les fruits ont peu à peu

L'amère saveur de la liberté.

 

***

 

 

Les Blancs disent…

 

Les Blancs disent que c'était un bon nègre, un vrai bon nègre, le bon nègre à son bon maître.

Je dis hurrah !

C'était un très bon nègre,

la misère lui avait blessé poitrine et dos et on avait fourré dans sa pauvre cervelle qu'une fatalité pesait sur lui qu'on ne prend pas au collet 1 ; qu'il n'avait pas puissance sur son propre destin ; qu'un Seigneur méchant avait de toute éternité écrit des lois d'interdiction en sa nature pelvienne2 ; et d'être le bon nègre ; de croire honnêtement à son indignité, sans curiosité perverse de vérifier jamais les hiéroglyphes fatidiques3.

 

C'était un très bon nègre

 

et il ne lui venait pas à l'idée qu'il pourrait houer4, fouir5, couper tout, tout autre chose vraiment que la canne insipide

C'était un très bon nègre.

Et on lui jetait des pierres, des bouts de ferraille, des tessons de bouteille, mais ni ces pierres, ni cette ferraille, ni ces bouteilles... O quiètes années de Dieu sur cette motte terraquée6!

et le fouet disputa au bombillement des mouches la rosée sucrée de nos plaies.

Je dis hurrah ! La vieille négritude7

progressivement se cadavérise

l'horizon se défait, recule et s'élargit

et voici parmi des déchirements de nuages la fulgurance d'un signe

 

le négrier8 craque de toute part... Son ventre se convulsé et résonne... L'affreux ténia de sa cargaison ronge les boyaux fétides de l'étrange nourrisson des mers!

 

Et ni l'allégresse des voiles gonflées comme une poche de doublons rebondie, ni les tours joués à la sottise dangereuse des frégates policières ne l'empêchent d'entendre la menace de ses grondements intestins.

 

Aimé Césaire, Cahier d'un retour au pays natal, éd. Présence africaine, 1947.

 

Vocabulaire

 

1. Prendre au collet : arrêter.

2. Nature pelvienne : ici, de génération en génération.

3. Hiéroglyphes fatidiques: écriture sacrée et mystérieuse annonçant le destin, allusion à une interprétation du texte biblique qui maudirait les Noirs.

4.Houer: labourer avec la houe.

5. Fouir: creuser, surtout en parlant des animaux.

6.Terraquée: composée de terre et d'eau.

7. Négritude: ensemble des caractères, des manières de penser, de sentir, propres aux peuples noirs.

8. Négrier: vaisseau qui transportait les esclaves noirs.

 

***

 

Anthologie suite

 

 

Victor Hugo
Le chant des partisans
Le déserteur et autres poèmes de révolte
anthologie de préfaces
Anthologie de poèmes