Démarche autour des préfaces:

Après avoir étudié les textes précédents, le professeur distribue un recueil de préfaces . Chacun doit choisir , dans le texte qu'il a décidé de lire, un extrait, une définition, un slogan qui selon lui, présente au mieux la poésie engagée. Ce travail fait, les textes sont affichés dans la classe. Ensuite les élèves lisent et comentent ces affiches. a consigne est la suivante " choisissez un slogan". Il est, bien sûr, possible de choisir un autre slogan que celui que l'on a soi-même affiché. .

Le professseur distribue enfin l'anthologie. Les élèves choisissent un ou plusieurs poèmes et essaient d'expliquer en quoi ils "illustrent" leur slogan préféré. Les poèmes sont ensuite accrochés ( avec leur slogan) dans les couloirs du collège.


1 LA LITTÉRATURE  ENGAGÉE.  Dominik Manns

 

L'engagement d'un écrivain suppose un choix public, l'élection d'une cause et sa défense dans un texte. Mais s'engager ne va pas sans une part de danger et de courage : celui qui s'engage contredit la règle, alimente un contre-pouvoir. Et bien que dans un sens étroit, la littérature engagée ne désigne qu'une étape de l'histoire littéraire du XXe siècle où écrivains et philosophes (Sartre, Camus, Beauvoir, avant eux Aragon et Malraux) firent de leurs mots les porte-voix d'une lutte politique, la littérature tout entière ne doit son histoire qu'à des transgressions, à la critique des limites qu'on lui pose. La littérature engagée suscite un questionnement autant d'ordre politique que d'ordre poétique.

On voit traditionnellement dans l'affaire Dreyfus, naissance de l'intellectuel, l'origine de l'engagement en littérature. L'auteur engagé, à l'image de Zola, est celui qui va se servir de sa qualité d'homme public, la mettre en gage pour s'opposer et accuser. Mais on peut alors faire rayonner la notion d'engagement à rebours : Montesquieu et Voltaire, les auteurs des Lumières et des Utopies, Sade et Germaine de Staël, Jules Vallès et Victor Hugo ne sont-ils pas aussi des écrivains engagés dans un sens moins restreint, en tant qu'ils ont tous défendu une cause et choisi d'exposer leur personne ?

" Je tiens Flaubert et Goncourt pour responsables de la répression qui suivit la Commune
parce qu'ils n'ont pas écrit une ligne pour l'empêcher "

SARTRE

L'engagement consiste donc à rendre visible l'invisible, à forger en dénonçant une connivence avec le lecteur, le menant à l'action, ou du moins à la réflexion.

La littérature engagée postule donc une parole transparente et éclairante, parole-conscience, mot-action. Sartre va plus loin encore, établissant une responsabilité de l'écrivain en tant qu'homme public. Sortir de l'anonymat pour être lu rend les mots nécessairement pesants : "la littérature vous jette dans la bataille [...] si vous avez commencé, de gré ou de force vous êtes engagé" écrit Sartre. On est de son temps, on doit en parler, on est coupable de se taire. Mais toute parole est-elle pour autant subversive ?

L'écrivain "engagé" sait que la parole est action; il sait que dévoiler
c'est changer et qu'on ne peut dévoiler qu'en projetant de changer.

Sartre


Se pose en effet la question du contenu de ces textes. Faut-il représenter des personnages modèles auxquels s'identifier ? Ou choisir satire et critique en dépeignant des situations révoltant le lecteur, par exemple contre la guerre dans À l'Ouest rien de nouveau de Remarque ou la société d'information dans 1984 d'Orwell ?
Quel sera le ton d'un texte engagé : la puissance carnavalesque du rire, le masque de l'ironie, la vigueur du pamphlet, la discrétion de l'écriture blanche de la nouvelle, le chant de la poésie ? Comment convaincre le lecteur, échapper à la censure et contester un pouvoir ? Où trouver la forme adéquate ? L'essai, de la tribune au manifeste, se donne pour l'émanation immédiate de la pensée de l'écrivain. Le roman à thèse offre un espace fictionnel à ses idées. Il fut cependant rapidement condamné pour son monolithisme, comme si finalement on ne pouvait que penser l'engagement et non l'écrire.
Depuis l'Antiquité , c'est peut-être le théâtre qui constitue le genre privilégié de l'engagement. Ainsi Sartre ou Camus se firent-ils dramaturges, et Brecht en fit le genre insurgé par excellence, écrivant "tout comme la transformation de la nature, la transformation de la société est un acte de libération, et ce sont les joies de la libération que devrait transmettre le théâtre d'une ère scientifique". Des metteurs en scène comme Mnouchkine ou Sobel s'en souviendront, perpétuant par le spectacle vivant cette tradition, songeant au beau pour changer le monde.


Les poètes ne sont pas en reste. Char compose durant la guerre, ce révélateur des engagements, une littérature de l'immédiateté et du danger, littérature passante, la poésie fragmentaire des Feuillets d'Hypnos, poèmes de l'espoir et du courage, célébrant le choix du combat parallèlement à celui de l'écriture : "Résistance n'est qu'espérance". L'écriture devient signe de ralliement, lien et langue secrète des Eluard, Desnos, Aragon, souffle rassurant et incessant. Aragon la dit nécessaire : "J'écris dans cette nuit profonde et criminelle", Semprun lutte avec les mots de Char : "Je murmure le début d'un poème qui s'appelle La liberté".

Parole, orage, glace
Et sang finiront
Par former
Un givre commun.

Char

Mais c'est précisément avec la poésie que se dessine une des limites de la littérature engagée : la littérature n est-elle pas le lieu du dégagement rêvé rimbaldien, une parole du monde sans prise sur lui, une voix pure? "Pourquoi des poètes en temps de détresse ?" s'interroge dans une formule célèbre Hôlderlin. La littérature engagée s'inscrit en effet par définition dans une modernité, dans une instantanéité du débat public, et cet impératif contrarie le désir de la littérature à être de toute éternité. La littérature engagée n'est-elle pas condamnée à dater ?

Je me résignais mal à n'être qu'un littérateur.
Leiris

Pour dépasser 1'opposition entre littérature engagée et éphémère de la révolte, Leiris choisit
paradoxalement l'écriture autobiographique qui, à la manière de la corne du taureau met l'auteur en danger, prose à risque tant l'exposition d'une intimité au regard du lecteur engage son auteur. Nulle cause embrassée, si ce n'est celle de la littérature et du rapport spéculaire d'un auteur et de son lecteur-reflet. L'autobiographie est pour lui une façon nouvelle de s'engager dans le texte en tant qu'individu, de rendre des comptes, d'être sincère.

De la même manière, les récits sur l'enfer concentrationnaire relisent à leur manière le problème de l'engagement, ouvrant une question permanente à la modernité, rappelant la violence salutaire de l'écrit. Ultime légitimation du livre alors que "le fait même d'écrire était suspect" (P. Levi), dernier rempart de l'humanité, cette littérature engagée naît de l'impossibilité de ne pas fixer et d'une fonction neuve attribuée au verbe : "À nous-mêmes, ce que nous avions à dire commençait alors à nous paraître inimaginable", écrit Robert Antelme.

Comme le souligne douloureusement Primo Levi, à l'horizon de la littérature engagée, il y a bien l'urgence de la transmission d'un savoir et d'une permanence. Un des postes essentiels de ce passage de relais est tenu par l'école, où l'enseignement doublement ancré dans les textes et dans le monde échange (et les récents événements relatifs à la liberté pédagogique le confirment) une des formes aiguës de l'engagement. Peut-on, doit-on tout enseigner, pourquoi ne pas faire lire certains textes, quelle est la responsabilité de celui qui fait lire ?

La mémoire de la littérature conservant les classiques ne les désigne-t-elle pas finalement du même coup comme œuvres engagées ? En effet, si un texte engagé peut mourir de son actualité, les textes qui restent ne s'ancrent-ils pas dans le temps du fait de leurs aspérités ? L'histoire des procès et emprisonnements d'auteurs (Rabelais, Diderot, Sade ou Baudelaire) est éloquente. Ainsi évoquer la religion, la sexualité, le pouvoir engage l'oeuvre.

Sade dans La philosophie dans le boudoir fait se répondre érotisme et théories politiques, se servant d'une provocation pour faire admettre l'autre. Les classiques d'aujourd'hui furent tous subversifs, tordant une règle théâtrale ou prosodique, défiant la censure, dénonçant un pouvoir, défendant une injustice. La nécessité d'écrire se tient du côté du refus et de la révolte. Être auteur c'est être "celui qui dit non" pour reprendre les mots de Brecht.

La littérature engagée est un écho du désir orphique du verbe à changer le monde. Elle est l'expression d'un possible, une question posée à un monde qu'elle ne reconnaît pas. Mais est-elle à ce titre encore littérature, art du masque, du signe prismatique et de l'illusion? La littérature engagée est un monstre, ou un équilibre délicat, jouant précisément sur le caractère biface du signe : lié au réel, pénétré de son réfèrent le plus immédiat et le plus provoquant, limpide et identifiable, échappant pourtant à ce réel, se faisant image, poème et mythe, rempart et force.

 

Parole, orage, glace

Et sang finiront

Par former

Un givre commun.

Char

 

 

2 Préface de "Paroles de Révolte"

 

L' Histoire est une longue suite de révoltes, individuelles ou collectives. De Jésus-Christ chassant les marchands du Temple à Spartacus menant son peuple d'esclaves sur la Rome des riches, de Gandhi dénonçant par la non-violence le scandale de la colonisation à Jan Palach se suicidant par le feu pour alerter la conscience du monde... Révolte de la Commune, Révolte des Camisards, Révolte des « nègres marrons », Révolte de Mai 68... Révolte philosophique de l'homme contre l'absurde de sa condition ou colère de l'individu contre l'injustice, la misère et l'oppression sociale.

Toujours l'Homme se dresse pour refuser l'insoutenable. Et les mots jaillissent de sa bouche, durs et beaux comme des cris. La colère se fait chant, la révolte se fait verbe... Et c'est Rimbaud, Maïakovski, Artaud, Jules Vallès ou Walt Whitman, prêtant leur souffle à cet éternel refus d'accepter un monde inhumain. Que serait un homme sans cette petite lumière, que serait-il sans cette conscience, cette saine fureur qui lui fait redresser la tête, dire non, même au péril de sa vie?... dût-il être banni comme Hugo, condamné à mort comme Vallès ou périr comme Giordano Bruno !

La vie et le monde s'acharnent à nous rogner les ailes, mais c'est notre devoir absolu de nous efforcer en retour de les étendre, le plus large possible. Je dis non, je refuse, j'accuse, je mets en doute.. je me révolte donc je suis.

Mais aujourd'hui, qu'en est-il de la révolte, dans un Occident qui semble s'essouffler, gagné par la lassitude, dépassé par l'ampleur de ses problèmes ? La révolte aurait-elle sombré, emportée par la grande vague de la fin des idéologies ? Ne nous y fions pas car la belle est coriace. On n'a pas sa peau aussi facilement. Toujours la révolte couve, au sein de la jeunesse dont elle reste éternellement la fiancée de cœur. Pareille au Phénix, elle renaît de ses cendres pour échauffer le sang des jeunes générations. C'est donc aux adolescents que sont dédiées avant tout ces Paroles de Révolte car, selon la formule d'Alain, «l'individu qui pense contre la société qui dort, voilà l'histoire éternelle, et le printemps aura toujours le même hiver à vaincre ».

 

Michel Piquemal

 

 

 

3 La révolte des poètes pour changer la vie

 

Les poètes sont généralement des gens paisibles, mais ils sont sensibles à l'injustice, à l'oppression, aux malheurs qui frappent les déshérités, et ils appellent à «changer la vie», comme disait l'un d'entre eux, Arthur Rimbaud, un adolescent en révolte contre le désordre établi, voilà plus d'un siècle.

Cet engagement des poètes a suscité bien des chefs-d'œuvre de notre poésie, depuis Les Tragiques d'Agrippa d'Aubigné au XVI° siècle jusqu'aux Châtiments de Victor Hugo au XIXe. Plus près de nous, la poésie de la Résistance à l'occupation allemande, de 1940 à 1945, a rendu populaires des poèmes de Louis Aragon, Robert Desnos, Paul Éluard, etc.

Une bonne part de la poésie d'aujourd'hui, au tournant de l'an 2000, exprime l'indignation et la révolte, mais sans déclamation ridicule. Les poèmes de Jacques Prévert nous ont montré que l'ironie et l'humour pouvaient avoir plus de force que la grandiloquence. C'est une vérité traditionnelle de notre poésie : les moralités des Fables de La Fontaine, avec un certain cynisme et une apparente soumission à l'ordre du monde, peuvent inciter subtilement à la révolte salutaire; après tout, c'est bien lui qui nous a montré que le loup préfère sa liberté d'affamé à la soumission repue du chien.

Et l'école elle-même, spontanément remise en cause par tant de révoltés, c'est bien elle qui nous a appris La Fontaine, Jacques Prévert, et, pour nous en tenir à quelques écrivains récents de la révolte partis rejoindre le Cercle des Poètes disparus, Paul Valet, Boris Vian, Pierre Boujut, Pierre Seghers, Jean Cuttat, etc.

Refuser d'accepter le monde tel qu'il fonctionne, c'est-à-dire mal, c'est un signe de santé. Comme le dit André Gide, " un esprit incapable de révolte et d'indignation est un esprit sans valeur ".

Cette révolte, cette indignation exaltent l'éternelle jeunesse du monde et la font vivre, même si elles ne parviennent pas vraiment à «changer la vie», on a souvent pu le constater, mais sans elles, le monde serait livré à la nuit. Se révolter, c'est une façon de se trouver, de s'affirmer, de refuser tant qu'on le peut les servitudes de la vie qu'on nous fait alors que nous voulons la faire nous-mêmes. Albert Camus disait : "]e me révolte, donc je suis." Tant de gens en vieillissant acceptent de se faire une raison et ils ne sont plus personne puisqu'ils deviennent comme tout le monde. Certes, nous ne changeons pas grand-chose dans ce monde avec nos poèmes, mais la poésie nous aide à résister aux forces de la déshumanisation qui nous guettent partout.

La poésie a toujours exalté cette part de refus qui est en chacun de nous et qui, de Spartacus qui fit trembler la Rome antique jusqu'aux étudiants rigolards de Mai 68, a toujours inquiété les pouvoirs établis, les hommes d'ordre, les gens sérieux. Elle est pourtant l'un des éléments moteurs du monde. Voilà tout juste un siècle, l'ingénieur Charles Keller écrivait sous le pseudonyme de Jacques Turbin :

 

Le premier singe qui se redressa, pensif,

Pour marcher sans bâton sur ses pieds de derrière,

Fut traité par les siens d'animal subversif et de révolutionnaire.

 

Les poètes d'aujourd'hui sont les héritiers de cette longue tradition de la révolte au nom de l'éminente dignité des hommes contre toute oppression.

C'est ce que rappellent à leur tour les soixante et un poètes réunis dans ce livre. Ils disent que la révolte contre le mal qui est dans le monde est nécessaire; qu'ils refusent de se résigner; qu'il ne faut pas se soumettre aux forces du mépris, de la haine, du racisme, de la guerre, de la violence, du profit; que la misère, les tortures, l'esclavage sont nos vrais ennemis; que la révolte est le signe de la générosité quand elle revendique une vie plus fraternelle, plus belle pour tous, malgré tant d'échecs, tant de malheurs et tant de souffrances.

Car ils savent que dans le mot révolte s'entend toujours l'écho du mot rêve.

Jacques charpentreau.

 

4 Poètes de la liberté

 

Rassembler des textes poétiques autour du mot "liberté" est une entreprise séduisante et impossible. Séduisante, parce qu'il n'est pas de mots dans la langue française qui ne recouvrent autant d'images diverses. Car la liberté est aussi bien l'idéal auquel toutes les révolutions tendent, que le désir pour chacun d'entre nous de transgresser les règles de la morale familiale, sociale et toutes les normes... Mais c'est une entreprise impossible dans la mesure où toute poésie est affirmation implicite ou explicite de la liberté de "tout dire". Il aurait donc fallu citer "tous les livres" de poésie. Comme il fallait bien choisir, je me suis donc laissé aller à un choix d'humeur. Et j'ai retenu certes des textes qui parlaient de liberté très fort, très ouvertement mais aussi des poèmes qui disent sans le crier, l'évasion, l'errance, la dérive, ou qui décrivent des espaces sans limites, des textes de circonstances, liés par exemple à la Résistance, mais également des textes qui disent les prisons imaginaires et les évasions impossibles. Comme je crois assez peu à la poésie traduite je me suis attaché à ne retenir que des textes en langue française venant de France, de Suisse, de Belgique, du Québec. J'ai parcouru le temps : on chante la liberté depuis toujours, j'ai retenu des poèmes très connus et qui sont sur toutes les lèvres et dans toutes les mémoires et des poèmes moins familiers de grands auteurs et même de poètes mineurs ou presque ignorés.

Le seul critère qui m'a guidé, inconsciemment sans doute, car je m'en suis aperçu à la relecture des poèmes, une fois qu'ils furent rassemblés, est celui de l'efficacité et de l'évidence. Et ces termes recouvrent un paradoxe sur lequel, présentant des textes sur la liberté, je tiens à intervenir : "L'évidence poétique" n'est pas donnée ; elle est une conquête , elle est inévitablement le résultat d'un travail. Travail patient ou activité fulgurante mais travail.

Le poète, quel qu'il soit, ne peut pas échapper à des contraintes de toute nature et particulièrement à celles qui sont dans sa langue maternelle ! Et c'est bien pour cela qu'entre la liberté et la poésie se noue un réseau d'images analogues. Toute liberté se gagne au terme d'un combat. Elle n'est pas plus offerte à l'homme que l'efficacité armée de son langage de poète. Tous les textes qui suivent sont conquis sur les espaces clos où la routine quotidienne, où le dire de l'habitude nous enferment. A la limite on pourrait affirmer que nous sommes tous des prisonniers et que le cri ou le murmure de la poésie sont des armes de délivrance et d'évasion. C'est bien pourquoi l'un des derniers recours des hommes enfermés dans les murs réels des prisons réelles est de le dire avec toute la force des mots dynamisés d'un poème. Mon seul souhait est donc que les lecteurs de ces textes : enfants, adolescents, hommes et femmes de tous les âges y découvrent, avec le plaisir de réinventer ces mots qui délivrent, que toute liberté, comme toute poésie, est une conquête et une victoire sur la nuit.

 

Georges Jean

 

 

5 Préface de "la poésie de la Résistance." ( extraits)

 

 

ENJEUX ET MODALITÉS DE LA PAROLE POÉTIQUE

La parole poétique ( de la Résistance) devient celle autour de laquelle va se réunir un lectorat, issu de tous les milieux et de toutes les obédiences politiques, à un moment où une partie de l'élite intellectuelle (Brasillach, Drieu La Rochelle) a trahi. La parole poétique devient parole du refus, et c'est toute une communauté réunifiée qui, dans la poésie de la Résistance, va se rassembler autour de valeurs qui ne vont plus de soi, pour reconquérir sa dignité et proclamer la force de son identité.

Ainsi le poète va-t-il être le héraut qui parle pour les muets, bâillonnés par l'humiliation de la défaite, puis par le déferlement de la propagande. Son poème s'adresse à tous ces lecteurs anonymes qui peuplent l'ombre, pour créer une communauté d'esprit mais aussi pour exhorter à la révolte et formuler un appel (d'où les nombreuses modalités injonctives des textes). Le poète sonne alors la diane(cf. La Diane Française d'Aragon) ou décrète l'état de veille (Etat de veille de Desnos). Parfois encore, le poète est celui qui va donner une voix ultime à ceux qui sont tombés et les sauver ainsi de l'oubli : c'est ce que font Robert Desnos dans les «Couplets de la rue Saint-Martin» ou René Char dans certains des «Feuillets d'Hypnos». Si le texte poétique parle au nom de l'autre, il est aussi parole à un autre soi-même : le poète s'adresse à des voix soeurs, d'où ce souffle fraternel et ce sentiment de connivence qui traversent souvent les poèmes de Résistance. D'où aussi ce ton de confidence et l'efficacité consolatrice de ces textes qui bercent la souffrance née de la tourmente de la guerre.

L'écriture poétique acquiert dans ce contexte une valeur primordiale renforcée par le fait qu'elle va puiser - pour les recueils clandestins comme pour ceux publiés au grand jour - aux sources de la littérature française. Elle pourra ainsi réaffirmer l'identité culturelle du pays face à l'occupant. Nombre d'écrivains choisissent ainsi de réutiliser des histoires empruntées à notre littérature, mais en les détournant de leur sens premier. Aragon, quant à lui, renouvelle son écriture poétique en y intégrant l'héritage de la poésie médiévale, ce qui lui permet de contourner la censure par tout un jeu d'allusions savantes comme dans son recueil Brocéliande, que le jeune catholique Gilbert Dru, dédicataire de «La Rosé et le Réséda». avait, dit-on, dans sa poche quand il fut arrêté.

Certaines formes traditionnelles aux qualités mnémotechniques, comme la ballade, le lai, la chanson, sont abondamment utilisées. Refrains, répétitions, rimes ou allitérations rendent en effet le message qu'elles véhiculent plus facilement mémorisable et lui confèrent solennité et force de persuasion.

La poésie du peuple devient ainsi populaire au sens noble du terme.

 

POÉSIE

 

  Cette parole poétique particulière, poésie engagée aux côtés des hommes, à l'écoute d'une réalité exceptionnelle pour mieux en supporter la charge, fut parfois suspectée d'être une littérature partisane, inféodée à des convictions politiques ou idéologiques. Mais, d'Éluard à Pierre Emmanuel, de Desnos à Pierre Jean Jouve, «Celui qui croyait au ciel / Celui qui n'y croyait pas», les poètes de la Résistance étaient issus d'horizons divers. Souvent, ils furent concrètement engagés dans la lutte clandestine et ont parfois payé un lourd tribut à leur engagement. Aussi les interrogations que peut susciter aujourd'hui cette poésie engagée dépassent-elles le seul champ esthétique.

En effet, à s'attacher ainsi au destin d'un peuple en des circonstances particulières et dramatiques, la poésie de la Résistance court peut-être le risque de n'être plus comprise quand les temps ont changé; le principe de connivence sur lequel elle repose souvent pourrait devenir un handicap pour le lecteur quand l'Histoire a passé; enfin, sa force émotionnelle peut s'éroder, voire s'effacer quand les générations successives ne connaissent plus ou n'ont jamais connu les années noires de la guerre et de l'Occupation.

Cette poésie de la Résistance serait-elle donc une poésie datée que de jeunes lecteurs ne pourraient plus lire ou comprendre aujourd'hui?  Même si des précisions d'ordre historique sont souvent nécessaires pour en éclairer la lecture, il n'en reste pas moins que cette poésie porte témoignage de temps qui pourraient revenir et rejoint des questionnements qui touchent à l'universel quand elle a su trouver la langue irradiante des vraies questions. Certes, parfois le poème est maladroit, les codes de lecture trop appuyés, les procédés d'écriture trop voyants, mais la parole nous touche et nous parle en vérité. Nous aurions parfois aimé qu'elle fût plus belle mais il peut suffire qu'elle soit vraie, «Poésie et vérité, comme nous savons, étant synonymes.»

 

 

 

 6 Préface de  PLUMES DE PAIX

 

 

Les écrivains et les illustrateurs de livres de jeunesse ont toujours préféré les crayons aux canons. Le bruit de mitrailleuse qu'on entend vient de leur machine à écrire. Ils dispersent leurs personnages par la douceur des gommes- Ils ne déchirent que des brouillons. Ils savent bien que les émotions ou les rires de leurs livres ne donnent ni à manger, ni à guérir, ne rendent pas automatiquement la justice. Mais ils savent aussi que toute littérature a besoin de lecteurs bien vivants et vivant en paix.

Leur témoignage de papier et d'encre déclare la guerre à la guerre, celle qui tue tous les enfants, ceux qui le sont encore comme ceux qui le furent.

Pef

 

Victor Hugo
Le chant des partisans
Le déserteur et autres poèmes de révolte
anthologie de préfaces
Anthologie de poèmes