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Enfin nous avons lu des textes: un texte de l'antiquité et d'autres histoires de sirène. Chaque groupe a lu d'abord un texte, l'a raconté, et a lu enfin les autres histoires...
C'est alors que nous nous sommes aperçus que la sirène n'était pas toujours un personnage sympathique.. "Elle peut avoir des pouvoirs terribles. " a dit un élève.
Ulysse et les sirènes.
( Ulysse est sur le chemin du retour vers son île natale. Mais les dieux sont contre lui. Il a déjà du affronter nombre de leurs épreuves. Il vient de venir à bout de la terrible magicienne Circé et embarque à nouveau sur son navire avec ses compagnons.)
Revenu
à bord de son navire, Ulysse harangue ses compagnons. Il leur annonce de dures
épreuves, mais leur rappelle qu'ils en ont déjà surmonté bien d'autres et leur
demande de lui faire confiance pour les ramener chez eux. Grâce à la carte marine
que lui a remise Circé, et grâce surtout a l'expérience de navigation qu'il
a maintenant acquise, Ulysse sait à peu près où il se trouve et quelle direction
il doit prendre. Il sait aussi que, dans quelques jours, il passera à proximité
de l'île des Sirènes. Et les sirènes
, il en a déjà entendu parler: ce sont de grands oiseaux à tête de femmes qui
attirent les marins par leur chant mélodieux. Leur bateau se fracasse
alors et les pauvres marins sont dévorés par ces monstrueuses créatures.
Ulysse
ne peut être au courant de la manière
dont Orphée allait plus tard échapper aux Sirènes. Ce merveilleux artiste
chanterait de façon si extraordinaire qu'elles seront séduites à leur
tour et irrémédiablement changées
en rochers. Mais il n'est évidemment
pas question pour lui d'employer le même moyen. Il lui faut en trouver un autre.
Dès qu'il entre dans la zone dangereuse, il réunit ses compagnons, les
met au courant du danger qui les menace.
Pour leur éviter de succomber aux accents séducteurs des Sirènes, il bouche leurs oreilles à l'aide de petites boules de cire qu'il a préalablement amollies entre ses doigts .
Lui-même, il aime trop la musique pour renoncer au plaisir d'entendre les trois chanteuses. Il s'abstient donc de se boucher les oreilles, mais, pour être sûr de ne pas faire de bêtises, il se fait ligoter solidement par ses compagnons au mât de son navire. Il a confié le commandement de l'équipage à son second, le fidèle Euryloque. Comme le vent est tombé, c'est à la rame que le navire pénètre dans les eaux territoriales des Sirènes. Bientôt, leur chant parvient aux oreilles d'Ulysse. Il est d'une telle beauté qu'Ulysse, oubliant toutes ses résolutions, brûle de s'approcher d'elles. Il crie aux rameurs de changer de direction, les supplie de le détacher, emploie tour à tour la menace et les promesses. Heureusement, ses hommes n'entendent pas plus sa voix que celles des Sirènes; voyant ses lèvres bouger, ils s'imaginent qu'il les exhorte à ramer plus fort, et ils se penchent avec ardeur sur leurs avirons. Seul Euryloque devine ce que crie Ulysse; mais, conformément aux instructions que celui-ci lui a données, il se contente de resserrer un peu plus les cordes qui attachent Ulysse au mât.
Le
cadeau de la sirène
Texte
de Jacques Pasquet, extrait de L'esprit de lune, à éditions Québec/Amérique
Jeunesse, collection clip, Boucherville, 1992. Au Nunavik, (la terre où l'on
installe), dans le nord du Canada,
vit le peuple inuit. Depuis toujours, les inuits se racontent des histoires
pour expliquer le monde dans lequel ils vivent. Ils racontent non seulement
avec des mots mais aussi en sculptant dans la pierre. Ce récit a été raconté
par Taivitialuk Alaasuaq, un habitant de Povungnituk.
Un
homme marchait sur la plage pour y ramasser du bois. Apercevant un objet d'allure
massive, il pensa avoir trouvé un tronc d'arbre échoué. Peut-être même une épave
de bateau !
Certain
de faire une bonne trouvaille, il pressa le pas. Mais plus il s'en approchait,
plus il était troublé. À deux reprises, il lui sembla que la chose avait bougé.
Il poursuivit quand même tout en restant sur ses gardes.
Quand
il découvrit la forme allongée sur la sable, l'homme se figea de stupeur. Il
se trouvait en présence d'un être mi-humain mi-poisson. Partagé entre la curiosité
et la peur, il songea à aller avertir les gens du village.
Il
s'apprêtait à faire demi-tour lorsque l'étrange créature s'adressa à lui. Incapable,
disait-elle, de retourner dans l'eau, elle avait besoin de son aide. Sinon elle
allait mourir là. L'homme hésita. Et si c'était un piège pour s'emparer de lui
facilement ? Finalement, il oublia sa crainte et décida de venir en aide à la
créature. Elle ne semblait pas méchante.
Il
eut à peine le temps d'avancer vers elle de quelques pas qu'elle le mit en garde:
-
Surtout ne me touche pas !
-
Mais comment pourrais-je te remettre à l'eau sans te toucher ?
La
créature lui expliqua alors qu'elle était une sirène :
-
Tout humain qui touche une sirène se voit condamné à la suivre jusqu'au fond
des mers !
Peu
rassuré par de tels propos, l'homme se mit tout de même en quête d'un solide
morceau de bois. Remettre la sirène à l'eau ne fut pas une mince tâche. Plusieurs
fois les pièces de bois se brisèrent sous son poids.
Ce
n'est qu'à force de patience et d'habileté que l'homme y parvint. Une fois dans
l'eau, la sirène s'adressa de nouveau à lui:
-
Pour te remercier de ton geste, je vais te faire un cadeau. Demande-moi ce que
tu aimerais avoir et je te le donnerai. J'en ai le pouvoir.
L'homme
trouva la proposition étonnante. À vrai dire, il n'y croyait guère. Il avoua
cependant à la sirène qu'un fusil, une machine à coudre et un tourne-disque
pareils à ceux du magasin de l'homme blanc feraient bien son bonheur. Depuis
le temps qu'il en rêvait !
- Reviens demain, ici même, au lever du jour, lui lança-t-elle avant de disparaître vers le large.
Le
lendemain, à l'heure dite, l'homme retourna à l'endroit où il avait découvert
la sirène. Elle n'était plus là, mais sur la plage se trouvaient un fusil, une
machine à coudre et un tourne-disque.
Son
précieux trésor dans les bras, l'homme rentra fièrement au village raconter
aux siens son étonnante aventure.
Ce
jour-là, les gens comprirent pourquoi l'homme blanc possédait tant de chose
dans son magasin. Il avait sûrement rencontré beaucoup de sirènes !
Quant à moi le conteur, je vous le dis, c'est ainsi que ça s'est passé à cette époque où les sirènes possédaient beaucoup. Et si on ne les voit plus de nos jours, c'est qu'elles ont tout donné et n'ont plus rien!
LA FEMME-DAUPHIN
Un
jour, non loin des îles Carolines, deux dauphins insouciants jouaient dans les
flots qui baignent un atoll du nom d'Ulithi. Ils se roulaient dans les vagues,
tantôt ils plongeaient jusqu'au fond de l'océan, tantôt ils sautaient bien haut
au-dessus de la surface de l'eau. Tout à coup l'un d'eux aperçut à l'intérieur
de l'îlot un groupe d'hommes qui dansaient sur une petite esplanade à moitié
cachée par les palmiers qui bordaient le rivage. Il dit alors à son compagnon
: "Viens, montons sur la berge et allons voir de plus près comment ces
gens dansent!" Comme l'autre dauphin était d'accord, ils nagèrent jusqu'à
la rive de l'atoll et dès qu'ils furent montés sur la plage sablonneuse, ils
détachèrent leurs queues et comme par enchantement se transformèrent en deux
ravissantes jeunes filles. Après avoir dissimulé leurs queues au pied d'un palmier,
elles se glissèrent furtivement jusqu'à l'endroit où dansaient, autour d'un
bûcher flamboyant, les hommes du village tout proche. Quand la danse prit fin,
elles retournèrent sur la rive, rattachèrent rapidement leurs queues et replongèrent
dans les vagues.
Emerveillés par la grâce de ce spectacle, les dauphins ne purent résister à l'envie de le revoir et désormais ils revenaient tous les soirs sur l'atoll, à l'heure de la danse. Mais une fois il arriva qu'un homme qui ne participait pas ce soir-là à la danse, alla se promener sur la plage. Il remarqua vite des traces dans le sable, qui sortaient tout droit de l'océan, pour disparaître, un peu plus loin, dans la palmeraie.
Intrigué,
il se demanda qui pouvaient bien être ces mystérieux visiteurs venus directement
de l'océan et après quelque hésitation, il décida de trouver la clé de ce mystère.
Le soir du Jour suivant, il se cacha derrière le tronc d'un palmier et il se
mit à scruter attentivement les vagues qui déferlaient paisiblement sur le sable
de la plage.
Bientôt
il vit surgir des flots deux dauphins qui se débarrassèrent de leurs queues
et se transformèrent aussitôt en deux jeunes filles, plus belle l'une que l'autre.
Dès qu'elles eurent dissimulé leurs queues et disparu derrière les palmiers,
l'homme sortit de sa cachette, s'empara d'une queue et retourna derrière son
arbre pour voir la tournure que prendraient les événements.
La
danse terminée, les jeunes filles regagnèrent la rive, l'une d'elles s'empressa
d'attacher sa queue et disparut aussitôt dans les flots. Mais la seconde errait
sur la rive, à la recherche de sa queue et comme elle ne trouvait toujours rien,
des larmes coulèrent sur son visage. C'est alors que l'homme sortit de sa cachette
et il dit à la belle éplorée :
"Ne
pleure pas, personne ne te veut du mal. C'est moi qui ai découvert ton secret.
Je n'ai encore jamais vu une jeune fille aussi belle que toi. Ne retourne plus
dans la mer, reste auprès de moi, sur l'île, et deviens ma femme."
Qu'aurait
pu faire d'autre la malheureuse jeune fille? Elle savait bien qu'il lui était
impossible de retourner dans l'océan sans sa queue, et elle dut se résoudre
bon gré mal gré à accepter la proposition de l'homme. Celui-ci la conduisit
aussitôt dans le village et l'épousa. Le temps passa doucement, et les jeunes
époux vécurent heureux et en bonne entente dans leur petite maisonnette sur
l'atoll. Bientôt la femme mit au monde un garçon et quelques années plus tard,
une petite fille. Les deux enfants étaient très beaux et la jeune femme les
aimait profondément. Mais l'appel de l'océan, son véritable élément, était encore
plus fort que son amour pour son époux et ses enfants. Durant toutes ces longues
années passées sur l'île, elle n'avait pas cessé de désirer ardemment retourner
dans la mer, se jeter à nouveau dans les rouleaux accueillants des chaudes vagues,
retrouver les jeux insouciants des dauphins, elle n'avait pas cessé de rêver
à la vie libre qu'elle avait connue. Et pendant tout ce temps-là, elle avait
continué patiemment à chercher l'endroit où était cachée sa queue de dauphin,
dérobée par son mari pendant cette nuit qui avait marqué son destin.
Mais jusqu'alors, toutes ses recherches avaient été vaines.
Un
jour son mari partit pêcher en mer en emmenant son fils qui allait bientôt devenir
un homme. Elle reprit ses recherches aussitôt qu'ils eurent disparu et elle
eut l'idée de grimper sur le toit de leur maisonnette où elle n'avait encore
jamais cherché auparavant. Et en effet, elle y découvrit rapidement, attaché
à une poutre de la charpente, un petit paquet enveloppé de feuilles de palmier.
Elle l'ouvrit et trouva enfin sa queue de dauphin. Mais après toutes ces années,
la queue était complètement desséchée. La femme prit alors un récipient, le
remplit d'eau de mer, y ajouta quelques herbes au pouvoir magique et ensuite
plongea dans cette préparation sa queue de dauphin. Quelques instants plus tard,
la queue reprit son aspect initial, elle était exactement telle que la femme
l'avait déposée jadis au pied du palmier. Alors la femme appela sa fillette
et tout en l'étreignant sur son cœur, elle lui dit : «II faut que je te dise
à présent que je suis en réalité un dauphin. Bien des années auparavant, ton
père m'a obligée, grâce à un subterfuge, à rester sur l'île, mais je dois
maintenant retourner dans la mer. Sois courageuse, ne pleure pas. Et
quand tu seras triste, viens la nuit sur la rive et appelle-moi. Je viendrai
pour te consoler et pour me réjouir en ta compagnie."
Sur
ces paroles, elle embrassa une dernière fois sa fille et reprenant son aspect
de dauphin, elle plongea dans les vagues de l'océan.
Au
même moment, son mari et son fils revenaient de la pêche. Quand le dauphin les
aperçut, il nagea jusqu'à leur barque et dit :
"Adieu
mon mari, adieu mon fils. L'océan m'appelle, il faut que je retourne parmi les
miens. N'oublie jamais, mon fils, que tu es l'enfant d'un dauphin. Garde-toi
surtout de pêcher ou de tuer les dauphins, sinon un grand malheur s'abattra
sur toi!"
A
ces mots, le dauphin disparut dans les profondeurs de l'océan et depuis ce jour,
plus personne ne le revit sur l'atoll.
La
petite sirène
Andersen
Il
existait au fond de l'océan,
là où l'eau est si profonde que les navires ne peuvent jeter l'ancre, un royaume
inconnu des hommes. L'eau y était bleue comme l'azur et transparente comme le
cristal. N'allez pas croire qu'il n'y avait là que des fonds de sable blanc
et des bancs de roches sans intérêt. Il y poussait en réalité des plantes plus
étranges les unes que les autres, dont les tiges et les feuilles ondulaient
au moindre frémissement de l'eau, comme si elles étaient vivantes. Des poissons,
grands et petits, venaient s'y réfugier, comme sur terre les oiseaux dans les
arbres. C'est là aussi qu'habitait le peuple des mers.
À
l'endroit le plus profond s'élevait le château du roi de la mer. Ses murs étaient
de corail et ses fenêtres, façonnées dans l'ambre le plus transparent, laissaient
passer une lumière irisée. Son toit était constitué de coquillages qui se fermaient
ou s'entrouvraient au passage des courants marins, laissant apparaître des perles
d'un blanc laiteux. Autour du château s'étendait un jardin aux arbres rouges
et bleus, dont les fruits brillaient comme de l'or. Le sol y était couvert d'une
couche de sable fin d'un bleu profond. Ce paysage étrange était baigné d'une
lueur bleuâtre qui donnait l'impression au visiteur d'être perdu dans l'azur
plutôt qu'au fond de l'eau.
Le
roi de la mer était veuf depuis de longues années et sa mère tenait sa maison.
C'était une femme intelligente, mais fière de sa noblesse. Elle portait douze
huîtres à sa queue, alors que les autres dames de qualité n'avaient le droit
de n'en fixer que six. Elle aimait infiniment ses petites-filles, les princesses
de la mer. La plus jeune d'entre elles avait sa préférence, car elle était la
plus belle de toutes. Elle avait la peau fine et transparente comme les pétales
de rose blanche et ses yeux étaient aussi bleus que l'océan. Comme ses sœurs,
elle possédait une queue de poisson à la place des jambes.
Toute la journée, les jeunes sirènes jouaient dans les vastes salles du palais où des fleurs vivantes poussaient sur les murs. Elles ouvraient les fenêtres d'ambre et des poissons entraient sans hésiter, comme les hirondelles le font chez nous. Ils nageaient tout droit vers elles, mangeaient dans leurs mains et se laissaient caresser.
Chaque
princesse possédait aussi son carré de jardin où elle pouvait bêcher et planter
à son gré. L'une donnait à sa corbeille de fleurs la forme d'une baleine, l'autre
préférait évoquer la silhouette d'une sirène, mais la plus jeune faisait toujours
preuve d'originalité.
Ainsi,
elle traça un jour dans son jardin un grand cercle dans lequel elle planta des
fleurs aux couleurs éclatantes pour figurer le soleil. Puis elle y déposa la
statue d'un jeune homme taillée dans du marbre blanc et échouée au fond de la
mer à la suite d'un naufrage. Près de la statue, elle planta un saule pleureur
qui poussa à une vitesse surprenante, comme si ses frêles branches rougeoyantes
désiraient ardemment embrasser ses racines. Son feuillage entourait le buste
du jeune homme et, au gré des courants, une ombre violette animait son visage
de pierre.
La
petite sirène n'avait pas de plus grande joie que d'écouter sa chère grand-mère
lui parler du monde des hommes. Elle brûlait d'impatience de le découvrir.
-
Sois patiente, lui disait toujours sa grand-mère, tu auras la permission de
monter à la surface le jour de tes quinze ans.
Il
lui fallait donc attendre encore durant cinq longues années. La nuit, la petite
sirène ouvrait sa fenêtre et levait les yeux vers la lune qui, du fond de l'eau,
paraissait tout à la fois plus pâle et plus grande. Lorsque de petits nuages
d'ombre voilaient les étoiles, elle savait que des baleines ou des navires passaient
au-dessus de sa tête et elle levait alors les bras d'un geste implorant.
Lorsque
l'aînée des princesses eut quinze ans, elle s'éleva à la surface sous le regard
envieux de la petite sirène. À son retour, elle raconta à ses sœurs émerveillées
le bonheur de s'allonger sur la côte au clair de lune et de regarder les lumières
scintillantes de la ville. De loin, disait-elle, on entendait le tumulte de
la foule et le tintement des cloches d'église.
Les
années suivantes, ses autres sœurs firent de même et lui contèrent la beauté
du soleil couchant, des collines verdoyantes, des châteaux perdus au milieu
des forêts ou encore des icebergs à l'éclat de diamant. Cependant, après l'enchantement
du premier voyage, toutes préféraient rejoindre le fond de l'océan. Quand le
jour de son quinzième anniversaire arriva enfin, la petite sirène s'empressa
de nager jusqu'à la surface. Elle sortit la tête de l'eau et aperçut un grand
navire qui glissait sur la mer. À son bord, mille lampions avaient été déployés
pour l'anniversaire d'un prince. La petite sirène s'approcha et vit un jeune
homme dont la beauté la subjugua. Mais, peu après, le ciel s'assombrit et les
vagues se creusèrent. Porté par son unique voile, le bateau tangua dangereusement.
Et soudain, la tempête se déchaîna. Le navire craquait de toutes parts et, bientôt,
son mât se brisa. L'eau s'engouffra dans la cale.
Au
milieu des vagues immenses, la petite sirène vit le prince jeté par-dessus bord.
Elle se précipita vers lui et, durant toute la nuit, elle se battit contre la
tempête en soutenant sa tête hors de l'eau. Quand le soleil se leva enfin, elle
déposa le prince inconscient sur la grève et l'embrassa sur le front.
Devant
elle se dressaient de hautes montagnes qui descendaient jusqu'à la mer. Là,
dans la baie, un verger d'orangers en fleur entourait un petit temple.
Une
cloche sonna. La petite sirène vit le prince s'éveiller et elle se réfugia dans
les vagues. Des jeunes filles descendirent sur la plage. Quand la petite sirène
vit que le prince leur souriait, elle s'éloigna, le cœur gros.
Chaque
jour, elle revint près du temple où elle avait laissé le jeune prince, mais
il ne reparut pas. N'y tenant plus, elle se confia à l'une de ses sœurs. Très
vite, la nouvelle de son amour pour le prince se répandit. Une sirène lui apprit
même où se trouvait son royaume.
-
Viens, petite sœur, lui dirent alors les princesses. Ensemble, elles glissèrent
vers la côte où s'élevait le château du prince. Dans de somptueux jardins en
terrasses se dressaient d'étonnantes statues de marbre.
Dès
lors, la petite sirène vint guetter le prince tous les jours. Plus elle l'aimait,
plus son désir de vivre parmi les hommes se faisait fort. Un jour, elle ne put
s'empêcher d'interroger sa grand-mère :
-
Les hommes meurent-ils comme nous?
-
Oui, mais eux n'atteignent pas trois cents ans, répondit-elle. Et puis ils possèdent
une âme qui s'élève au ciel, alors que nous redevenons écume de mer.
-
Pouvons-nous aussi avoir une âme?
-
Oui, c'est possible, si une sirène trouve un homme qui l'aime d'un amour fidèle.
Mais c'est rare : généralement, nos queues de poisson nous rendent laides à
leurs yeux. Allons, ne parlons plus de cela. Un peu de gaieté, ma petite ! Ce
soir, il y a bal à la cour.
Ce
bal fut sans aucun doute l'un des plus beaux jamais organisés au château du
roi de la mer.
Plusieurs
centaines de coquillages, fixés sur les murs de verre épais, éclairaient la
grande salle et illuminaient la mer alentour. D'innombrables poissons nageaient
de-ci de-là, luisant d'écailles pourpres ou lançant des reflets argentés. Au
milieu de la salle coulait une large fontaine dans laquelle des sirènes dansaient
au son de leurs chants mélodieux. La voix de la petite sirène était de loin
la plus remarquée. On l'applaudissait et son cœur en fut un instant éclairé
car elle savait qu'elle avait la plus belle voix sous l'onde.
Mais
sa joie fut de courte durée et elle quitta discrètement le bal pour s'isoler
dans son jardin. Soudain, elle entendit le son d'une corne de brume à travers
l'eau.
«Le
voici qui part encore, se dit-elle. Comme je voudrais le rejoindre! Et si j'allais
voir la vieille sorcière qui me fait si peur, peut-être me conseillerait-elle?»
Elle
nagea alors en direction des tourbillons mugissants où aucune plante ne poussait
en raison du courant. La maison de la sorcière se dressait au loin, au milieu
d'une étrange forêt d'arbres et de buissons, mi-animaux, mi-plantes, qui saisissaient
tout ce qui passait à leur portée. La petite sirène effrayée, s'élança aussi
vite qu'elle put, en tâchant de protéger ses longs cheveux.
Assise
dans sa maison, la sorcière donnait à manger à un horrible crapaud.
-
Tu viens pour vivre parmi les hommes, ricana-t-elle avant même que la petite
sirène ait ouvert la bouche. Tiens, voici un breuvage qui t'aidera. À l'aube,
quand tu le boiras, ta queue se divisera pour former deux jolies jambes. Mais,
à partir de ce jour, tu ressentiras une douleur terrible à chacun de tes pas.
Es-tu d'accord?
-
Oui, répondit la princesse d'une voix faible.
-
Bien! grinça la sorcière. En guise de paiement, j'exige que tu me donnes ta
superbe voix.
-
Mais, si vous me la prenez, que me restera-t-il?
-
Tes formes ravissantes, ta démarche légère et le langage de tes yeux. As-tu
perdu courage?
La
petite sirène fit signe qu'elle acceptait et, sans plus attendre, la sorcière
lui trancha la langue. Avant de la laisser partir, elle la mit en garde une
dernière fois :
-
Le philtre bu, tu ne pourras plus jamais revenir parmi nous et, si tu ne gagnes
pas l'amour du prince, tu te transformeras en écume de mer le lendemain de son
mariage avec une autre jeune fille.
La
petite sirène avait encore ces paroles à l'esprit quand elle se retrouva à l'aube
devant le palais du prince. Elle porta l'âpre mixture à ses lèvres et ressentit
alors une douleur terrible, comme si une épée fendait son corps. Elle s'effondra
sur le sable, inanimée.
Lorsqu'elle
reprit ses esprits, le prince était à ses côtés et la regardait intensément
de ses grands yeux noirs.
La
petite sirène cachait sa nudité derrière sa longue chevelure. Le prince la prit
dans ses bras et la porta au palais. On la revêtit de précieux habits de soie
et de mousseline. Tous s'émerveillaient de sa grâce. Elle était la plus belle
de toutes, mais son silence intriguait.
Un
jour, une jeune femme se mit à chanter pour le prince. À entendre cette voix
qui était loin d'égaler celle qu'elle avait jadis, la petite sirène devint mélancolique.
Mais, lorsque les esclaves commencèrent à danser, elle se leva et révéla à tous
sa grâce exceptionnelle. Le prince, heureux, l'appelait sa petite enfant trouvée.
Il lui fit faire un habit d'homme pour qu'elle puisse le suivre à cheval.
Mais
le temps passait et le prince, qui l'aimait beaucoup, ne put s'empêcher de lui
ouvrir son cœur.
-
Tu m'es la plus chère, dit-il, car tu ressembles à une jeune femme qui jadis
me sauva d'un naufrage.
«Hélas,
soupira intérieurement la petite sirène. Il ne sait pas que c'est moi qui l'ai
sauvé, et c'est la jeune fille du temple qu'il aime véritablement.»
Un
jour, alors qu'un grand voyage se préparait, le prince vint la voir et lui dit
:
-
Je dois partir en mer, sur ordre de mon père. Il veut me fiancer à une belle
princesse. Mais sache que si elle ne ressemble pas à la jeune fille de mes rêves,
comme toi, mon ange des flots, ce sera toi que je choisirai, car tes yeux parlent
à mon cœur.
La
petite sirène l'accompagna donc à bord. Une nuit, ses sœurs s'approchèrent du
bateau, mais elle ne put leur parler car un mousse approchait.
Arrivé
à bon port, on attendit durant plusieurs jours la jeune princesse. Enfin elle
parut. Ses yeux étaient d'un bleu profond comme une nuit d'orage et la petite
sirène reconnut aussitôt la jeune fille du temple. Le prince, fou de joie, annonça
immédiatement ses fiançailles.
-
Oh! Quelle merveilleuse nouvelle, dit-il à la petite sirène. Toi qui es comme
ma sœur, réjouis-toi !
La
petite sirène sentit son cœur se briser. Elle savait que le lendemain des noces,
elle ne serait plus
qu'un
filet d'écume sur la crête des vagues. Bientôt, l'évêque de la ville donna sa
bénédiction au prince et à la princesse. Ils embarquèrent le soir même pour
le voyage du retour. La nuit venue, après avoir quitté les nouveaux époux, la
petite sirène resta seule sur le pont. Soudain, elle vit apparaître les visages
pâles de ses sœurs au milieu des vagues.
-
La sorcière à qui nous avons fait offrande de nos cheveux t'envoie ce poignard.
Regarde comme il est aiguisé! Si, avant que le jour ne se lève, tu le plonges
dans le cœur du prince, son sang coulera sur tes pieds et tu redeviendras sirène.
Hâte-toi, l'un de vous deux doit mourir avant l'aurore, et le soleil va bientôt
se lever.
Serrant
l'arme dans ses mains, la petite sirène pénétra dans la chambre du prince.
Elle s'approcha de lui et déposa un baiser sur son front. Alors sa main trembla et, d'un geste impétueux, elle jeta le poignard dans les vagues. Puis elle plongea dans l'eau et sentit son corps se dissoudre en écume. Elle s'éleva ensuite, telle une brume, pour rejoindre d'autres corps qui flottaient au-dessus de l'océan.
-
Où suis-je? demanda-t-elle.
-
Chez les filles de l'air. Ta souffrance et ta bonté t'ont ouvert les portes
de notre royaume. Tu souffleras avec nous la brise marine et les parfums du
printemps, puis, dans trois cents ans, tu auras une âme immortelle.
À
ces mots, la petite sirène leva ses yeux vers le soleil qui la réchauffait et
pleura de bonheur.