Des
fleurs pour Algernon.
Daniel Keyes,1959
Conte randu - 5 mars 1961
Le Dr Strauss dit que je devrai écrire ce que je panse et tout
ce qui marive a partir de mintenan. Je sai pas pourquoi mais il dit que
c'est inportan pour qu'on voye si on peu manployé. J'espère
qu'on poura. Miss Kinnian dit que peutètre qu'on pourra me randre
intelijan. Je veu être intelijan. Je mapèle Charlie Gordon.
J'ai 37 ans et y a 2 semaines c'était mon aniversère. J'ai
plu rien a écrire mintenan alor je termine pour aujourdhui.
Conte randu 2.- 6 mars.
Aujourdhui on ma fait passé un test. Je croi pas que j'ai réussi
et je panse que peutètre qu'on mamployera pas. Ya un jeune homme
qu'est venu dans la chambre et il avait des cartes blanches avec plin
d'ancre dessu. Il a dit Charlie quesque tu voi sur cette carte. J'avai
très peur malgré que j'avai ma pate de lappin dans ma poche
parsque quand j'étai gosse je ratai toujour mes test a l'école
et pui je ranversai de l'ancre aussi.
Je lui ai dit que je voyai une tache d'ancre. Il a dit oui et sa ma fait
plaisir. Je pansai que c'était tout mais quand je me sui levé
il ma arêté. Il a dit assoi toi Charlie on a pas encore fini.
Après je me rapele pas si bien mais il voulait me faire dire ce
qui y avait dans l'ancre. Je voyai rien dans l'ancre mais il a dit qui
y avait des imajes et que les autres voyait des imajes. Moi je voyai pas
d'imajes. J'ai vraiman essayé de voir. J'ai regardé la carte
de près et pui de loin. J'ai dit que si j'avai mes lunète
je pourai mieu voir je les porte juste au ciné ou pour la télé
mais j'ai di elle son dans le placar dans le couloir. On me les a donné.
Alor j'ai di faite moi voir cette carte je pari que je vais trouvé
maintenan.
J'ai bien essayé mais je pouvai toujour pas trouvé les imajes
Je voyai que l'ancre. Je lui ai di que peutêtre que j'ai besoin
de changé de lunète. Il a écrit quelque chose sur
un papier et j'ai eu peur de raté le test. Je lui ai di que c'était
une belle tache d'ancre avec des petits points tout autour. Il a eu lair
triste et j'ai vu que c'était pas sa. Je lui ai di laissé
moi essayé ancore. Je vai savoir dans quelques minutes parsque
je conpran pas toujour vite. Je li pas vite non plus dans la classe d'adultes
de miss Kinnian mais j'essaye tant que je peu.
Il ma fait ancore essayé avec une autre carte qui avait 2 sortes
d'ancre dessu rouje et bleu.
Il était très aimable et il parlait lanteman comme miss
Kinnian et il ma expliqué que c'était un test ror chaque.
Il a dit que les jans voyait des choses dans l'ancre. j'ai di montré
moi ou sa. Il ma dit de pansé. Je lui ai di Je panse une tache
mais c'était pas sa. Il a dit sa te rapèle quoi. Imagine
quelque chose. J'ai fermé les yeux lontant pour imaginé.
Je lui ai di j'imagine un stilo avec de l'ancre qui coule partous sur
un tapi. Alor il s'est levé et il est parti.
Je croi pas que j'ai réussi le test ror chaque.
Conte randu 3. - 7 mars.
Le Dr Strauss et le Dr Nemur dise que pour les taches sa fait rien. Je
leur ai di que j'ai pas renversé d'ancre sur les cartes et que
je pouvai rien voir dans l'ancre. Ils on dit que peutètre ils manployeron
quan même. J'ai dit que miss Kinnian ma jamais donné des
test comme sa elle me fait seulman lire et écrire. Ils on dit que
miss Kinnian a dit que j'étai son meyeur élève au
cour du soir pour les adultes parsque je fai tout ce que je peu et je
veu vraiman aprandre. Ils on dit coman sa se fait que ta été
tout seul au cour du soir Charlie. Coman que tu la trouvé. J'ai
di que j'ai demandé à des jans et quelquun ma dit ou je
devrai allé pour aprandre a lire et écrire comme y faut.
Ils ont dit pourquoi que tu
voulais aprandre. J'ai di parsque toute ma vie j'ai voulu être intelijan
au lieu d'être bête. Mais c'est tres difficile d'être
intelijan. Ils on dit tu sais que ce sera probableman tant porère.
J'ai di oui. Miss Kinnian me l'a dit. Sa me fait rien si sa fait mal.
J'ai eu ancore d'autres tests idiots aujourdhui. La dame qui me les a
fait passés était jentille et elle ma dit coman sa sapèle
et je lui ai demandé coman sa sécrit pour que je le mète
dans mon corne randu. TEST D'APERCEPTION THEMATIQUE., Je conai pas ces
2 mots mais je sais ce que sa veut dire test. Il faut le réussir
ou on a des mauvais points. Ce test avait lair facile parce que je pouvai
voir les imajes. Seulman cette fois elle me demandait pas de lui dire
les imajes. Sa ma embrouyé. J'ai di que l'homme d'hier voulait
que je dise ce que je voyai dans l'ancre mais elle a dit sa fait rien.
Elle a dit faite des istoires sur les jans dans les imajes.
Je lui ai di coman qu'on peut dire des istoires sur des jans qu'on a jamais
vu. J'ai di pourquoi je devrai dire des mansonjes. Je di plus jamais de
mansonjes parsque je sui toujour atrapé.
Elle ma dit que ce test et l'autre le ror chaque c'était pour connaître
la personalité. Ce que j'ai ri. J'ai di coman on peut conaitre
sa d'après des taches et des fotos. Elle s'est mise en colère
et elle a rangé ses imajes. Sa met égal. C'était
idiot. Je croi que j'ai pas réussi ce test la nonplu.
Après des hommes en blouse blanche mon anmené dans un autre
androit de lopital et ils mon donné un jeu. C'était comme
une course avec une souri blanche. Ils apelait la souri Algernon. Algernon
était dans une boite avec des tas de tournans qui faisait comme
des murs et on ma donné un crayon et un papier avec des lignes
et des tas de cases. D'un coté y avait DEPART et de l'autre coté
ARRIVEE. Ils on dit que c'était un abirinte et qu'Algernon et moi
on avait le même abirinte a faire. Je pouvais pas conprandre coman
on pouvait avoir le même abirinte si Algernon avait une boite et
moi un papier mais j'ai rien di. Et pui j'avai pas le tant parce que la
course allait comancé.
Un des hommes avait une montre qu'il essayait de caché pour que
je la voye pas alor j'essayai de pas regardé et sa me randait nerveu.
En toucas ce test ma anbété plus que les autres parsqu'ils
l'on fait plu de 10 fois avec des abirintes diférant et Algernon
a gagne toutes les fois. Je savai pas qu'une souri c'était si intelijan.
Algernon est une souri blanche. Peutètre que les souris blanche
son plus intélijante que les autres.
Conte randu 4, - 8 mars.
Ils von manployé. Je suis si exité que je peu a peine écrire.
Le Dr Nemur et le Dr. Strauss on comancé par discuté. Le
Dr Nemur était au burau quan le Dr Srauss ma amené. Sa anbétait
le Dr Nemur de manployé mais le Dr Strauss lui a dit que miss Kinnian
me recomandait comme le meyeur de tous les élèves qu'elle
avait. J'aime bien miss Kinnian parsque c'est un très bon professeur.
Et elle a dit Charlie on va te donné ta chance. Si tu axepte cette
expériance tu pourra devenir intélijant. On sait pas si
sa durera mais ya une chance. C'est pour sa que j'ai di oui quanmème
j'avai peur parsqu'elle a dit que c'était une opération.
Elle ma dit faut pas avoir peur Charlie tu a tant de bonne volonté
que je croi que tu le mérite pluss que tous les autres.
Alor j'ai eu peur quand le Dr Nemur et le Dr Strauss en on discuté.
Le Dr Strauss a dit que j'avai quelque chose qui était très
bon. Il a dit que j'avai une bonne motivation. Je savai même pas
que j'avai sa. J'ai été fier quand il a dit que c'était
pas tout le monde avec un Q.I. de 68 qui avait cette chose. Je sai pas
ce que c'est ni ou je l'ai eu mais il a dit qu'Algernon l'avait aussi.
La motivation d'Algernon c'est le fromage qu'on met dans sa boite. Mais
pour moi sa peu pas être sa parsque j'ai pas manjé de fromage
cette semaine.
Et alor il a dit au Dr Nemur quelque chose que je comprenai pas alor pandant
qu'ils parlait j'ai écri quelques mots que j'entendai.
Il a dit au Dr Nemur je sai que Charlie est pas ce que vous atandié
comme premier sujet de votre nouvelle espèce de supère intélek*
(j'ai pas pu saisir le mot). Mais la plupar des jans de son niveau mantal
son host* et ne veul pas coopé* ils son souvant apat* et difficiles
à atindre. Lui il a un caractère agréable il sintéresse
et il veut bien faire.
Le Dr Nemur a dit noublié pas qu'il sera le premier humin a avoir
son intélijance triplé par la chirurgie.
Le Dr Strauss a dit c'est juste. Regardé comme il a bien apri a
lire et a écrire pour son âge mantal c'est un exploi aussi
grand que si vous et moi on aprenai la téorie de la * vité
dennstène sans aide. Sa démontre une intanse motivation.
C'est un exploi conparati* sensa* je propose qu'on se serve de Charlie.
Je conprenai pas tous les mots et ils parlait trop vite mais on aurait
dit que le Dr Strauss était pour moi et l'autre non.
Alor le Dr Nemur a dit oui vous ave peutètre raison. On va se servir
de Charlie. Quan il a dit sa j'ai été si exité que
j'ai sauté et je lui ai séré la main parsquil était
bon pour moi. Je lui ai di merci docteur vous regréteré
pas de mavoir donné ma chance. Et je le panse comme je le disai.
Après l'opération je vai essayé d'être intélijan.
Je vais essayé vraiman.
Conte randu 5. - 10 mars.
J'ai peur. Des jans qui travaille ici et les infirmières et les
autres qui mon fait passé des tests son venu maporté des
bonbons et me souaité bonne chance. J'espère que j'aurai
de la chance. J'ai ma patte de lappin et ma pièce porte boneur
et mon fer à cheval. Seulman y a un chat noir qui a passé
sur mon chemin quand je suis venu a lopital. Le Dr Strauss dit faut pas
être supère sticieu Charlie c'est la siance. En toucas je
garde ma patte de lappin sur moi.
J'ai demandé au Dr Strauss si je batrai Algernon dans la course
après l'opération et il a dit peutètre. Si l'opération
réussi je montreré a cette souri que je peu être aussi
intélijan qu'elle. Peutètre pluss. Et pui je pourai lire
mieu et écrire les mots comme y faut et savoir des tas de choses
et être comme les autres jans. Je veu être intélijan
comme les autres. Si sa réussi et si sa duré on poura rendre
tout le monde intélijan.
On m'a rien donne a manjé ce matin. Je voi pas pourquoi de mangé
sa anpécherait de devenir intélijan. J'ai bien fin et le
Dr Nemur ma prit ma boite de bonbons. Ce Dr Nemur arête pas de raler.
Le Dr Strauss dit que je pourrai la revoir après l'opération.
On peu pas manjé avant une opération.
Compte rendu 6. - 15 mars.
L'opération ma pas fait mal. Il l'a faite pendant que je dormai.
On ma anlevé les bandajes que j'avai sur les yeux et sur la tête
pour que j'écrive un COMPTE RENDU. Le Dr Nemur qui a regardé
les premiers que j'ai fait dit que j'écri mal COMPTE et il ma dit
coman sa s'écrit et RENDU aussi. Il faut que j'essaye de m'en rapelé.
J'ai une mauvaise mémoire pour l'ortografe. Le Dr Strauss dit que
c'est bien d'écrire toutes les choses qui marive mais que, je devrai
écrire plus sur ce que je ressan et ce que je panse. Quand je lui
ai di que je savai pas coman faire pour pansé il ma dit d'essayé.
Pandant que j'avai mes bandajes sur les yeux, j'ai essayé de pansé.
Rien n'est arivé. Je sai pas a quoi pansé. Peutetre que
si je le lui demande il me dira que je peu pansé maintenan que
je doi devenir intélijan. A quoi panse les jans intélijans.
A des choses Intéressantes, je voudrais déjà conaitre
des choses intéressantes.
Compte rendu 7. - 19 mars.
Il se passe rien. J'ai fait des tas de tests et plusieur courses avec
Algernon. Je peu pas soufrir cette souri. Elle me bat toujours. Le Dr
Strauss dit qu'il faut que je jou a ces jeus. Et il dit qun jour il faudra
que je reface ces tests. Ces taches d'encre sont stupides. Et ces images
sont stupides aussi. J'aime bien dessiner une image d'un homme et d'une
famme mais je veu pas dire de mensonges sur les gens.
J'ai eu mal a la tête a essayer de penser si fort. Je croyais que
le Dr Strauss était mon ami mais il m'aide pas. Il me dit pas quoi
penser ou quand je deviendrai intélijan. Miss Kinnian est pas venu
me voir. Je crois que c'est stupide aussi d'écrire ces compte rendu.
Compte rendu 8. - 23 mars
Je retourne travailler a l'usine. Ils ont dit qu'il valait mieu que je
retourne au travail mais que je devais dire a personne pourquoi j'avais
été opéré et que je devai revenir à
l'hôpital une heure tous les soirs après le travail. Ils
vont me payer tous les mois pour aprendre a être inteligent.
Je suis contant de retourner travailler parce que je m'ennui de mon travail
et de tous mes amis et qu'on s'amusait bien.
Le Dr Strauss dit que je devrai continuer a écrire des choses mais
pas tous les jours seulement quand je pense a quelque chose ou quand quelque
chose de spécial arrive. Il dit de ne pas me décourager
parcequ'il faut du tant. Il dit qu'il a falu lontant avec Algeron avant
qu'elle deviene 3 fois plus intéligente qu'elle était avant.
C'est pour sa qu'Algernon me bat a chaque fois parce qu'elle a eu l'opération
elle aussi. Sa me console. Je pourai probablement faire l'abirinte plus
vite qu'une souri ordinaire. Peut être qu'un jour je batrai Algernon.
C'est sa qui serait chic. Jusqu'à maintenant on dirait qu'Algernon
pourait être inteligente pour toujours.
25 mars. - J'ai plus besoin d'écrire compte rendu dans le haut
mais simplement quand je le donne une fois par semaine au Dr Nemur. J'ai
juste a mètre la date. Sa gagne du tant.
On s'est bien amusé a l'usine aujourd'hui. Joe Carp a dit regarde
ou Charlie a été opéré quoiqu'ils ont fait
à Charlie ils lui ont mi un peu de cervèle. J'étais
pour leur dire mais je me suis rapelé que le Dr Strauss a dit non.
Alors Frank Reilly a dit quesque t'a fait Charlie t'a oublié ta
clé et t'a ouvert la porte avec ton crâne. Sa m'a fait rire.
C'est des vrais amis et ils m'aime.
Des fois quelqun dit regardé donc Joe ou Frank ou George qui fait
son Charlie Cordon. Je sais pas pourquoi ils dise sa mais ils ri toujours.
Ce matin Amos Borg qui est contremètre chez Donnegan a crié
après Ernie le gosse qui fait les courses et l'a apelé par
mon non. Ernie avait perdu un paquet. Il a dit Ernie pourquoi diable tien
tu à faire ton Charlie Gordon. Je conpran pas pourquoi il a dit
sa. J'ai jamais perdu de paquet.
28 mars. - Le Dr Strauss, est venu dans ma chambre cette nuit pour voir
pourquoi je suis pas venu ces deux jours comme je devais. Je lui ai dit
que je ne voulais plus faire la course avec Algernon. I1 a dit que c'est
pas la pène pour le moment mais que je devrais venir, il avait
un cadau pour moi mais pas a me donner seulement a me prêter. Je
croyais que c'était une petite télévision mais non.
Il a dit que je devais le mètre en marche quand je m'endormais.
J'ai dit vous rigolé pourquoi que je le ferai marcher quand je
vais m'endormir. On a jamais vu une chose comme sa. Mais il a dit que
si je voulais devenir inteligent il falait faire ce qu'il dit. Je lui
ai répondu que je pense pas que je devien inteligent mais il a
mi sa main sur mon épaule et a dit Charlie tu le voi pas encore
mais tu devien de plus en plus inteligent. Tu le remarquera pas avant
un moment. Je pense qu'il était simplement aimable avec moi pour
que je sois contant parce que je suis pas plus inteligent qu'avant.
Ah j'allais presque oublier. Je lui ai demandé quand je pourai
retourner a l'école chez miss Kinnian. Il a dit que j'irai plus.
Il dit que miss Kinnian viendra a l'hôpital pour essayer de me donner
des cours particuliés. Je lui en voulais de pas être venu
me voir quand j'ai été opéré mais je l'aime
bien alors peut être qu'on sera encore amis.
29 mars. - Cette sacré télé m'a enpéché
de dormir toute la nuit. Comment est ce que j'aurais pu avec quelque chose
qui me braillait des idiocies dans les oreilles, et ces images idiotes
! Bondieu. Je sais pas ce que sa raconte quand je suis debout alors comment
est ce que je peu le savoir quand je dor.
Le Dr Strauss dit que sa va. Il dit que mon cerveau aprend quand je dor
et que sa m'aidera quand miss Kinnian me donnera des lessons à
l'hôpital (mais j'ai trouvé que c'est pas un hôpital
mais un laboratoire). Je croi que tout sa c'est idiot. Si on peu devenir
inteligent en dormant, pourquoi les gens vont à l'école.
Je croi pas que sa marchera. Je regarde le programme du soir et le dernier
programme à la télé tout le tant et sa me rend pas
inteligent. Peutètre qu'il faut dormir en le regardant.
Compte rendu 9. - 3 avril.
Le Dr Strauss m'a montré comment mettre la télé pas
fort et maintenant je peux dormir. J'entends rien. Et je comprends toujours
pas ce qu'elle dit. Quelque fois je la refais marcher le matin pour voir
ce que J'ai apris sans m'en apercevoir pendant que je dormais. Miss Kinnian
dit que c'est peut être une autre langue ou autre chose. Mais presque
toujour sa a l'air d'être de l'américain. Sa parle si vite
que miss Gold qui était mon professeur en sizième je me
rapèle qu'elle parlait si vite que je pouvais pas la comprendre.
J'ai dit au Dr Strauss a quoi sa sert de devenir inteligent en dormant.
Je veux être inteligent quand je suis réveillé. Il
dit que c'est pas la même chose et que j'ai deux esprits. Il y a
le subconscient et le conscient (c'est comme sa qu'il faut l'écrire).
Et l'un dit pas à l'autre ce qu'il fait. Ils se parlent mème
pas. C'est pour sa que je rêve. Et ce que j'ai pu avoir des rêves
idiots. Bondieu. Depuis cette télé du soir. Le dernier dernier
dernier dernier programme.
J'ai oublié de lui demander si c'était moi seulement ou
tout le monde qui avait deux esprits.
(Je viens de regarder le mot dans le dictionnaire que le Dr Strauss m'a
donné. Le mot est subconscient, adj. Qui se rapporte aux opérations
mentales non situées au niveau de la conscience; ex: conflit subconscient
de désirs.) Il y en a encore mais je ne sais pas ce que sa veut
dire. C'est pas un très bon dictionnaire pour des gens stupides
comme moi.
En tout cas mon mal de tête dure depuis notre sortie. Mes copains
de l'usine Joe Carp et Frank Reilly m'ont invité a aller boire
un cou avec eux chez Muggsy. J'aime pas boire mais ils ont dit qu'on s'embêterait
pas. Je me suis bien amusé.
Joe Carp a dit que je devrai montrer aux filles comment je nétoye
les vécés à l'usine et il a été me
chercher un balai, je leur ai montré et tout le monde a ri quand
j'ai dit que Mr Donnegan dit que je suis le meyeur gardien qu'il a eu
parce que j'aime mon boulot et que je le fais bien et que je suis jamais
en retard et que je manque jamais sauf comme le jour de mon opération.
J'ai dit que miss Kinnian dit toujours Charlie faut être fier de
ton travail parce que tu le fais bien.
Tout le monde a ri et on s'est bien amusé et ils m'ont donné
a boire et Joe a dit Charlie est marant quand il est paf. Je sais pas
ce que sa veut dire mais tout le monde m'aime bien et on s'amuse. Je suis
impaciant d'être intéligent comme mes meilleurs amis Joe
Carp et Frank Reilly.
Je me rapele pas comment notre journée a fini mais je crois que
j'ai été acheter un journal et du café pour Joe et
Frank et que quand je suis revenu il y avait plus personne. Je les ai
atendus tous pendant lontant. Apres je me rapèle pas si bien mais
je crois que j'ai eu sommeil ou que j'ai été malade. Un
flic m'a ramené gentiment à la maison. C'est ma propriétaire
Mrs Flynn qui me l'a dit.
Mais j'ai mal à la tête et j'ai une grosse bosse au front
et je suis plein de noirs et de bleus. Je pense que j'ai du tomber mais
Joe Carp dit que c'est le flic ils battent les ivrognes quelques fois.
Moi je crois pas. Miss Kinnian dit que les flics sont la pour aider les
gens. En tout cas j'ai bien mal à la tête et partout et je
suis mal fichu. Je crois que je ne boirai plus jamais.
6 avril. -J'ai battu Algernon. Je ne savais même cas que je l'avais
battu avant que Burt me l'ai dit Burt c'est celui qui me fait passer les
tests.
La deuzième fois j'ai perdu parce que j'étais si énervé
que je suis tombé de la chaise avant d'avoir fini. Mais après
sa je l'ai battu encore 8 fois. Je dois commencer a devenir intelligent
pour battre une souri aussi forte qu'Algernon. Mais je me sens pas plus
intelligent.
Je voulais encore faire la course avec Algernon mais Burt a dit c'est
assez pour un jour. Ils me l'ont laissé prendre dans la main une
minute. Elle n'est pas méchante. Elle est douce comme une boule
de coton. Elle cligne les yeux et quand elle les ouvre ils sont noirs
et rosés sur les bords.
J'ai demandé si je peux lui donner à manger parce que sa
m'enbêtait de la battre à la course et je voulais être
chic avec elle et qu'on soye amis. Burt a dit non parce qu'Algernon est
une souri très spéciale qui a eu une opération comme
moi et elle a été le premier animal a rester intelligent
si lontant. Il m'a dit qu'Algernon est si intelligente que chaque jour
on lui donne un test à faire pour avoir sa nourriture. C'est une
chose comme une sérure sur une porte qui change chaque fois qu'Algernon
entre pour manger et sa fait qu'il faut qu'elle apprène toujours
quelque chose de nouveau pour avoir sa nourriture. Sa m'ennuyé
parce que si un jour elle ne pouvait pas apprendre elle aurait fin.
Je ne crois pas que c'est juste de vous faire faire un test pour manger.
Qu'est ce qu'il dirait le Dr Nemur si il fallait qu'il en passe un chaque
fois qu'il veut manger. Je crois que je vais être ami avec Algernon.
9 avril. - Ce soir après le travail miss Kinnian est venue au
laboratoire. Elle avait l'air contente de me voir mais pas rassurée.
Je lui ai dit ne vous tourmentez pas miss Kinnian je ne suis pas encore
intelligent et elle a ri. Elle a dit j'ai confiance en toi Charlie de
la manière que tu a travaillé si dur pour lire et écrire
mieux que tous les autres. En mettant les choses au pire tu en a pour
quelques tants seulements et tu fais quelque chose pour la siance.
Nous lisons un livre très difficile. J'ai encore jamais lu un livre
si difficile. Il s'appelle Robinson Crusoë c'est un omme qui est
perdu sur une île déserte. Il est intelligent et il invente
des tas de choses pour avoir une maison et à manger. Il est bon
nageur. Seulement sa me rend triste parce qu'il est tout seul et qu'il
n'a pas d'amis. Mais je pense qu'il doit y avoir quelqun d'autre sur l'ile
parce qu'il y a une image ou il est avec son drôle de paraplui en
train de regarder des enprintes de piés. J'espère qu'il
aura un ami et qu'il ne sera plus seul.
10 avril. - Miss Kinnian m'apprend à faire moins de fautes en
écrivant. Elle dit regarde un mot et ferme les yeux et répète
le sans arèt jusqua ce que tu t'en souviène. J'ai bien du
mal avec ceux qui finissen par ent, comme intelligent, qui se dit intelijan
et aiment et mangent qu'on prononce aime et mange au lieu de aiman et
majan. Sa m'enbrouye mais miss Kinnian dit qu'il ne faut pas chercher
à comprendre l'ortografe.
14 avril. - Fini Robinson Crusoë. Je veux savoir ce qui lui est
arrivé encore après mais miss Kinnian dit que c'est tout
ce qu'il y a. Pourquoi.
15 avril. - Miss Kinnian dit que j'apprends vite. Elle a lu quelques
Compte Rendus et elle m'a regardé drôlement. Elle dit que
je suis quelqu'un de bien et que je les étonerai tous. Je lui ai
demandé pourquoi. Elle a dit peu importe mais que je ne devrai
pas être découragé si je trouve que tout le monde
n'est pas chic comme je crois. Elle dit que pour quelqu'un que la nature
a si peu gâté je fais mieux que des tas de gens qui ne se
servent pas de leur cerveau. J'ai dit que tous mes amis sont intelligents
mais gentis. Ils m'aiment bien et ils ne m'ont jamais fait de méchanceté.
A ce moment elle a eu quelque chose dans l'euil et il a fallu qu'elle
court au lavabo.
/ 6 avril - Aujourd'hui, j'ai apris, la virgule, voila une virgule (,)
c'est un point, avec une queu, miss Kinnian, dit que c'est important,
parce que, sa fait mieux, quand on écrit, elle dit, que quelqu'un,
peut perdre, des tas d'argent, si une virgule, n'est pas, à la,
bonne place, je n'ai pas, d'argent, et je ne vois pas, comme une virgule,
vous empêche, de le perdre.
Mais elle, dit, que tout le monde, se sert de virgules, alors moi aussi,
je m'en sers.
17 avril. - Je me suis mal servi des virgules. C'est la ponctuation. Miss
Kinnian m'a dit de chercher les mots longs dans le dictionnaire pour apprendre
à les écrire, j'ai dit qu'est ce que sa fait du moment qu'on
peut lire ce que j'écris. Elle a dit sa fait partie de l'éducation
alors maintenant je regarderai tous les mots que je ne sais pas comment
écrire. Sa prend lontant pour écrire comme sa mais je crois
que je me rappelle une fois que j'ai regardé une seule fois suffit.
C'est comme sa que j'ai pu écrire le mot ponctuation comme il faut.
C'est comme sa dans le dictionnaire. Miss Kinnian dit que le point est
aussi une ponctuation, et qu'il y a des tas d'autres signes à apprendre.
Je lui ai dit que je croyais que tous les points devaient avoir des queus
mais elle a dit non.
II faut les mélanger, elle m'a montré ? comment " les
mélanger et (maintenant, je sais; mélanger ! toutes "
les sortes de ponctuation, dans ! ce que J'écris ?
Il -y a, des tas ! de règles ? à apprendre; mais je me les
enfon'ce-dans la tête.
Une chose que ? j'aime. Chère miss Kinnian : (c'est comme sa qu'on
écrit dans une lettre commerciale si je dois un jour faire du commerce)
c'est que, toujours elle me donne une raison " quand - je lui demande.
Miss Kinnian est un génie ! Je voudrais ! être aussi intelligent
" qu'elle; (La ponctuation, c'est; amusant !)
18 avril. - Que je suis bête ! Je n'avais même pas compris
de quoi elle parlait. J'ai lu la grammaire hier soir et tout y est expliqué.
Alors J'ai vu que c'était comme ce que miss Kinnian essayait de
me dire, mais je n'avais rien compris; je me suis levé au milieu
de la nuit et tout s'est mis en ordre dans mon esprit.
Miss Kinnian a dit qu'en marchant pendant que je dors la télé
a été très utile. Elle dit que j'ai attint un plateau.
C'est comme le sommet plat d'une montagne.
Quand j'ai eu compris comment on met la ponctuation, j'ai relu tous mes
anciens Comptes Rendus depuis le début. Sapristi ! quelle orthographe
et quelle ponctuation ! J'ai dit à miss Kinnian que je devrais
tout relire et corriger toutes les fautes, mais elle a dit. " Non,
Charlie, le Dr Nemur les veut comme ils sont. C'est pourquoi il a permis
que tu les garde après les avoir fait photocopier, pour que tu
voies tes progrès. Tu avances à grands pas, Charlie "
Ça m'a réconforté. Après la leçon je
suis descendu jouer avec Algernon. Nous ne faisons plus la course.
10 avril. - Je me sens tout malade à l'intérieur. Pas malade
à appeler te docteur, mais dans ma poitrine ça sonne creux
comme un tambour et ça me brûle en même temps.
Je ne voulais pas en parler, mais je crois qu'il le faut, parce que c'est
important. Aujourd'hui c'est la première fois que je n'ai pas été
travailler.
Hier soir Joe Carp et Frank Reilly m'ont invité à sortir.
Il y avait beaucoup de filles et quelques hommes de l'usine. Je me rappelais
comme j'avais été malade la dernière fois que j'avais
trop bu, alors j'ai dit à Joe que je ne voulais rien prendre. Il
m'a donné simplement un coca-cola. J'y ai trouvé un drôle
de goût, mais j'ai pensé que c'était parce que j'avais
mauvaise bouche.
On s'est bien amusé pendant un moment. Joe a dit que je devrais
danser avec Ellen, qu'elle m'apprendrait les pas. Je suis tombé
plusieurs fois et je ne comprenais pas pourquoi parce que personne ne
dansait à part Ellen et moi. Et tout le temps je trébuchais
parce que le pied de quelqu'un dépassait toujours.
Une fois, quand je me suis relevé, j'ai vu l'expression sur le
visage de Joe et ça m'a fait une étrange sensation au creux
de l'estomac.
" Ce qu'il est tordant ! " a crié une des filles. Tout
le monde riait.
Frank a dit : " J'ai jamais tant ri depuis le soir où on l'a
envoyé chercher le journal chez Muggsy et où on l'a plaqué.
"
- Regardez-le. Il est rouge comme une pivoine.
- Il rougit. Charlie rougit.
- Dis donc Ellen, qu'est-ce que t'as fait à Charlie ? Je l'ai jamais
vu comme ça.
Je ne savais que faire ni où me tourner. Tout le monde me regardait
en riant et je me sentais comme si j'avais été tout nu.
Je voulais me cacher. Je suis sorti dans la rue en courant et j'ai vomi.
Puis je suis rentré à la maison. C'est drôle que je
ne me sois jamais aperçu que Joe, Frank et les autres aiment m'avoir
là pour se moquer de moi.
Maintenant je sais ce qu'ils veulent dire par " faire le Charlie
Gardon ". J'ai honte.
Compte rendu 30. - 21 avril.
Je n'ai pas été à l'usine aujourd'hui non plus. J'ai
dit à ma propriétaire, Mrs Flynn, de téléphoner
à Mr Donnegan que j'étais malade. Mrs Flynn me regarde drôlement
depuis peu, on croirait qu'elle a peur de moi.
Je crois que c'est une bonne chose de m'être aperçu que les
autres aiment rire de moi. J'y ai beaucoup réfléchi. C'est
parce que je suis bête et que je ne m'aperçois même
pas quand je fais une bêtise. Les gens trouvent amusant que quelqu'un
de bête ne puisse parvenir à faire les choses comme eux.
En tout cas, je sais maintenant que je deviens chaque jour plus intelligent.
Je connais la ponctuation et je peux écrire presque sans fautes,
j'aime chercher tous les mots difficiles dans le dictionnaire et quand
je les ai vus je m'en souviens. Je lis beaucoup maintenant et miss Kinnian
dit que je lis très vite. Parfois, je comprends même ce que
je lis et ça reste dans mon esprit. Il y a des fois où je
peux fermer les yeux et penser à une page et elle m'apparaît
comme une photographie.
En plus de l'histoire, de la géographie et de l'arithmétique,
miss Kinnian dit que je devrais commencer à apprendre quelques
langues étrangères. Le Dr Strauss m'a donné quelques
autres bandes magnétiques à faire passer pendant que je
dors. Je ne comprends toujours pas comment fonctionne cet esprit conscient
et inconscient, mais le Dr Strauss dit de ne pas me tourmenter. Il m'a
fait promettre de ne pas lire de livres de psychologie quand je commencerai
mes études secondaires. la semaine prochaine - en tout cas pas
avant qu'il ne m'en autorise la lecture.
Je me sens beaucoup mieux aujourd'hui, mais je crois que je suis encore
un peu en colère de ce que tout le temps les gens riaient et se
moquaient de moi parce que j'étais bête. Quand je serai devenu
intelligent comme l'affirme le Dr Strauss, avec trois fois mon Q.I de
68, alors peut-être que je serai comme tout le monde et que ici
les gens m'aimeront et seront gentils avec moi.
Je ne sais pas très bien ce que c'est qu'un Q.I. Le Dr Nemur dit
que c'est quelque chose qui mesure l'intelligence qu'on a - comme une
balance pour peser les marchandises au drugstore. Mais le Dr Strauss a
eu une grande discussion avec lui et il a dit que le Q.I ne mesurait pas
du tout l'intelligence. Il a dit qu'un Q.I. indiquait jusqu'à quel
point on pouvait devenir intelligent comme les chiffres l'extérieur
d'un verre gradué, il reste à remplir le verre.
Ensuite, quand j'ai demandé à Burt qui me fait passer mes
tests d'intelligence et qui travaille avec Algernon, il a déclaré
qu'ils avaient tort tous les deux mais il a fallu que je lui promette
de ne pas le leur répéter. Burt prétend que le Q.I.
mesure des tas de choses différentes, y comprit certaines choses
qu'on a déjà apprises, et que ça n'est vraiment d'aucune
utilité.
Ainsi, je ne sais toujours pas ce que c'est qu'un Q.I.. sauf que le mien
va bientôt dépasser 200. Je n'ai rien voulu dire, mais je
ne vois pas comment, s'ils ne savent pas ce que c'est ni où cela
se trouve... je ne vois pas comment ils peuvent savoir combien on peut
en avoir.
Le Dr Nemur dit qu'il faut que je passe un Test de Rorschach demain. Je
me demande ce que cela peut être.
21 avril. -J'ai trouvé ce que c'est qu'un Rorschach. C'est le test
que j'ai subi avant l'opération : celui avec des taches d'encre
sur les morceaux de carton. L'homme qui me l'a fait passer était
le même que la première fois.
J'avais une peur mortelle de ces taches. Je savais qu'il allait me demander
de trouver des images et je savais que je n'en serai pas capable. Je pensais
à part moi si seulement il existait un moyen de savoir quelles
sortes d'images sont cachées là-dedans. Peut-être
n'y en a-t-il pas du tout. Peut-être n'est-ce qu'un truc pour voir
si je suis assez bête pour chercher quelque chose d'inexistant.
Rien que d'y penser j'étais en colère après cet homme.
- Voyons, Charlie, dit-il, tu as déjà vu ces cartes, tu
te rappelles ?
- Bien sûr que je me rappelle. De la façon dont je l'ai dit,
il a vu que j'étais en colère et il a paru surpris.
- Oui. bien sûr. Maintenant je voudrais que tu regardes ceci. Qu'est-ce
que ça pourrait être ? Que vois-tu sur cette carte? Les gens
voient toutes sortes de choses dans ces taches d'encre. Dis-moi ce que
ça pourrait être pour toi - à quoi ça te fait
penser.
J'étais outré. Ce n'était pas du tout ce que j'attendais
qu'il dise.
- Vous voulez dire qu'il n'y a pas d'images cachées dans ces taches
d'encre ?
Il fronça les sourcils et enleva ses lunettes.
- Quoi ?
- Des images. Cachées dans les taches. La dernière fois
vous m'avez dit que tout le monde pouvait les voir et vous avez voulu
que je les trouve aussi. II m'expliqua que la dernière fois il
s'était servi à peu près des mêmes mots. Je
n'en croyais rien et je soupçonne toujours qu'il m'a induit en
erreur juste pour s'amuser. A moins que - je ne sais plus - est-ce que
j'aurais pu être faible d'esprit à ce point ?
Nous regardâmes lentement les cartes. Sur une, on aurait dit deux
chauves-souris tirant sur quelque chose. Sur une autre, deux hommes se
battant au sabre. J'imaginai toutes sortes de choses. Je crois que je
me laissai emporter par mon imagination. Mais je n'avais plus confiance
en cet homme et tournai les cartes en tous sens et regardai même
au dos pour voir s'il y avait quelque chose que j'étais censé
découvrir. Pendant qu'il prenait des notes, je jetai un coup d'il
en coin sur son papier. Mais tout était en code et ressemblait
a peu près à ceci : WF+A Ddf-AD orig. WF-ASF+obj
Ce test me semble n'avoir ni queue ni tête. A mon avis n'importe
qui pourrait inventer des histoires sur des choses qu'il ne voit pas en
réalité. Comment aurait-il pu savoir que je me moquais de
lui en mentionnant des choses que je n'imaginais pas? Peut-être
aurai-je une explication quand le Dr Strauss me laissera lire des livres
sur le psychologie.
25 avril. - J'ai imaginé une nouvelle façon de disposer
les machines à l'usine et Mr Donnegan dit qu'avec l'économie
de main-d'uvre et la production accrue, il y gagnera des dizaines
de milliers de dollars. Il m'a accordé une prime de $ 25.
Je voulais payer à déjeuner à Joe Carp et à
Frank Reilly pour célébrer l'événement mais
Joe me dit qu'il avait des achats à faire pour sa femme et Frank,
qu'il déjeunait avec un cousin. Je crois qu'il leur faudra un certain
temps pour s'habituer aux changements qui se sont produits en moi. Tout
le monde semble avoir peur de moi. Quand je me suis approché d'Amos
Borg et que je lui ai tapé sur l'épaule, il a sursauté.
Les gens ne me parlent plus beaucoup et ils ne me font plus marcher comme
avant, aussi je me sens un peu seul en travaillant.
27 avril. - Aujourd'hui je me suis armé de courage et j'ai demandé
à miss Kinnian de dîner avec moi demain pour fêter
l'octroi de cette prime.
Pour commencer, elle se demanda si elle pouvait accepter, mais j'ai demandé
au Dr Strauss et il a déclaré qu'il n'y voyait pas d'objection.
Le Dr Strauss et le Dr Nemur ne semblent pas s'entendre. Ils n'arrêtent
pas de discuter. Ce soir, quand je suis entré demander au Dr Strauss
si je pouvais emmener miss Kinnian dîner avec moi, je les ai entendus
crier. Le Dr Nemur disait que c'était son expérience et
ses recherches, et le Dr Strauss lui répondait en criant que son
rôle à lui était tout aussi important, parce que c'était
lui qui m'avait découvert en s'adressant à miss Kinnian
et qui m'avait opéré. Le Dr Strauss dit qu'un jour viendrait
où des milliers de neurochirurgiens pourraient utiliser sa technique
dans le monde entier.
Le Dr Nemur voulait publier les résultats de l'expérience
à la fin du mois. Le Dr Strauss voulait attendre encore un peu
pour être sûr. Le Dr Strauss disait que le Dr Nemur s'intéressait
plus à la chaire de psychologie de Princeton qu'à l'expérience.
Le Dr Nemur accusait le Dr Strauss de n'être qu'un opportuniste
cherchant à acquérir de la gloire a ses dépens.
Quand je suis parti, je tremblais. Je ne sais pas exactement pourquoi,
mais c'était comme si j'avais vu les deux hommes clairement pour
la première fois. Je me rappelle avoir entendu Burt dire que le
Dr Nemur était marié à une mégère qui
le tarabustait sans cesse pour qu'il ait des ouvrages publiés et
qu'il devienne célèbre. Burt dit que le rêve de cette
femme était d'avoir un mari important,
Le Dr Strauss essayait-il réellement de lui voler la gloire qui
lui revenait ?
28 avril. - Je ne comprends pas pourquoi je n'avais jamais remarqué
comme miss Kinnian est belle. Elle a des yeux marron et des cheveux bruns
et soyeux qui lui descendent jusque sur la nuque. Et elle n'a que trente-quatre
ans ! Je crois que, dès le début, j'ai eu l'impression qu'elle
était un génie inaccessible et qu'elle était très,
très vieille. Maintenant, chaque fois que je la vois elle me paraît
plus jeune et plus ravissante.
Nous avons dîné ensemble et avons longuement parlé.
Quand elle dit que je faisais de si rapides progrès que bientôt
je la laisserais loin derrière. Je me suis mis à rire.
- C'est vrai. Charlie. Tu es déjà meilleur lecteur que moi.
Tu peux lire une page entière d'un coup d'il alors que je
ne peux en lire que quelques lignes à la fois. Et tu te rappelles
tout ce que tu as lu dans les moindres détails. Moi je suis heureuse
quand je peux me rappeler les idées principales et le sens général.
- Je n'ai pas l'impression d'être intelligent. Il y a tant de choses
que je ne comprends pas.
Elle prit une cigarette et je la lui allumai.
- Il faut avoir un peu de patience. Tu as accompli en des jours et des
semaines ce qu'il faut à des gens normaux la moitié d'une
vie pour accomplir. C'est ce qui rend cela si stupéfiant. Tu es
maintenant comme une éponge géante qui s'imbibe de choses.
De faits, de chiffres, de connaissances générales. Et bientôt
tu
commenceras à faire la liaison entre tout cela. Tu verras comment
les différentes branches du savoir sont apparentées. Il
y a de nombreux paliers, Charlie; c'est comme les degrés d'une
échelle géante que tu gravis pour voir des étendues
de plus en plus grandes du monde qui t'entoure.
Je n'en puis voir qu'une petite partie, Charlie, et je ne monterai guère
plus haut, mais toi tu continueras de grimper de plus en plus et chaque
échelon te fera découvrir des horizons nouveaux dont tu
ne soupçonnais même pas l'existence.
Elle fronça les sourcils.
- J'espère... J'espère simplement avec ferveur...
- Quoi ?
- Peu importe, Charlie. J'espère simplement que je n'ai pas eu
tort de te conseiller au début de t'engager sur cette voie. Je
me mis à rire.
- Comment serait-ce possible ? Ça a marché, n'est-ce pas
? Même Algernon elle-même est toujours intelligente.
Nous restâmes assis en silence pendant un moment et je savais ce
qu'elle pensait tandis qu'elle m'observait jouant avec la chaîne
de ma patte de lapin et mes clés. Je ne voulais pas plus penser
à cette possibilité que les gens âgés ne veulent
penser à la mort. Je savais que ce n'était que le commencement.
Je savais ce qu'elle voulait dire au sujet des échelons parce que
j'en avais déjà parcouru quelques-uns. La pensée
de la laisser derrière moi me rendait triste. Je suis amoureux
de miss Kinnian.
Compte rendu , -30 avril.
J'ai quitté mon emploi à la Fabrique de Boîtes en
Plastique Donnegan. Mr Donnegan m'a fait comprendre avec insistance qu'il
vaudrait mieux pour tout le monde que je m'en aille. Qu'ai-je fait pour
qu'ils me détestent à ce point ?
La première fois que je m'en suis aperçu, c'est quand Mr
Donnegan m'a montré la pétition. Huit cent quarante noms,
tous ayant quelque chose à voir avec l'usine. Seule Fanny Girden
n'avait pas signé. D'un simple coup d'il sur la liste, j'ai
vu tout de suite que son nom était le seul manquant. Tous les autres
exigeaient mon renvoi.
Joe Carp et Frank Reilly ne voulurent pas m'en parler. Personne d'autre
ne voulut non plus, sauf Fanny. Elle était l'une des rares personnes
que je connusse à ne pas varier dans ses opinions quoi que pût
faire, dire ou prouver le reste du monde - et Fanny ne croyait pas que
j'aurais dû être congédié. Elle avait été
contre la pétition par principe, et ni la pression ni les menaces
n'avaient pu la faire revenir sur son opinion.
- Ce qui ne signifie pas, me fit-elle observer, que je ne pense pas qu'il
y ait en toi quelque chose de véritablement étrange, Charlie.
Ces changements me laissent perplexe. Tu étais un homme comme les
autres, tu étais sympathique et digne de confiance, peut-être
pas très vif d'esprit, mais honnête. Qui sait comment tu
t'y es pris pour devenir si intelligent tout d'un coup ? Comme tout le
monde le dit ici, Charlie, ce n'est pas normal.
- Mais comment pouvez-vous dire cela, Fanny ? Qu'y a-t-il de mal à
ce qu'un homme devienne intelligent et désire acquérir des
connaissances et comprendre le monde autour de lui ?
Elle baissa les yeux sur son travail et je me préparai à
m'en aller. Sans me regarder, elle dit :
- C'était mal quand Eve a écouté le serpent et a
goûté le fruit de l'arbre de la connaissance. C'était
mal quand elle a vu qu'elle était nue. Sans cela, aucun de nous
n'aurait eu à connaître la vieillesse, la maladie ni la mort.
Une fois encore, je sens maintenant la honte me brûler à
l'intérieur. Cette intelligence a creusé un fossé
entre moi et ceux que je connaissais et aimais naguère. Avant,
ils riaient de moi et me méprisaient à cause de mon ignorance
et de ma stupidité; maintenant, ils me détestent à
cause de mes connaissances et de ma compréhension des choses. Pour
l'amour de Dieu, qu'attendent-ils donc de moi ?
On m'a chassé de l'usine. Maintenant, je suis plus seul que jamais...
15 mai. - Le Dr Strauss est très en colère après
moi parce que je n'ai pas rédigé un seul compte rendu en
quinze jours. Sa colère est justifiée parce que le labo
me paie maintenant un salaire régulier. Je lui ai dit que j'étais
trop occupé à méditer et à lire. Lui ayant
fait remarquer qu'écrire était pour moi lent et énervant
parce que j'ai une vilaine écriture, il m'a suggéré
d'apprendre à laper à la machine. Je peux écrire
beaucoup plus facilement désormais, parce que j'arrive à
dactylographier près de soixante-quinze mots à la minute.
Le Dr Strauss ne cesse de me recommander de parler et d'écrire
le plus simplement possible pour que les gens puissent me comprendre.
Je vais essayer de passer en revue tout ce qui m'est arrivé depuis
quinze jours, Algernon et moi-même avons été présentés
à l'Association des Psychologues Américains siégeant
en congrès avec l'Académie Universelle de Psychologie mardi
dernier. Nous avons vraiment fait sensation. Le Dr Nemur et le Dr Strauss
étaient fiers de nous.
Je soupçonne le Dr Nemur qui a soixante ans (dix ans de plus que
le Dr Strauss), de tenir absolument à voir les résultats
tangibles de ses travaux. Il subit sans aucun doute une pression de la
part de Mrs Nemur.
Contrairement à l'impression que je m'étais faite de lui
tout d'abord, je me rends compte que le Dr Nemur n'a rien d'un génie.
Il a un esprit très développé, mais constamment en
proie au doute. Il veut que le monde le prenne pour un génie. C'est
pourquoi il est important pour lui d'avoir le sentiment que ses travaux
sont acceptés par le monde. Je crois que le Dr Nemur craignait
de nouveaux retards parce que quelqu'un aurait pu faire une découverte
dans ce domaine et lui enlever le droit à la reconnaissance publique.
Le Dr Strauss, en revanche, pourrait être qualifié de génie,
encore que j'aie l'impression que sa culture n'est pas assez étendue.
Il a été éduqué dans la tradition d'une étroite
spécialisation; les aspects plus larges d'une solide culture générale
ont été beaucoup trop négligés -même
pour un neurochirurgien. J'ai été vivement étonné
d'apprendre que les seules langues anciennes qu'il pût lire étaient
le latin, le grec et l'hébreu, et qu'il ne connaît presque
rien des mathématiques au-delà des niveaux élémentaires
du calcul des variations. Quand il me l'a avoué, j'en ai été
presque ennuyé. Ce fut comme s'il avait caché cette partie
de lui-même afin de me tromper, en prétendant être
ce qu'il n'est pas - ainsi que le font bien des gens, d'après ce
que j'ai découvert. Je ne connais personne qui soit ce que l'on
pourrait croire d'après les apparences.
Le Dr Nemur paraît mal à l'aise en ma présence. Parfois,
quand j'essaye de qui parler, il me regarde d'une façon bizarre
et se détourne. J'ai été en colère au début,
quand le Dr Strauss m'a dit que je donnais au Dr Nemur un complexe d'infériorité.
Je croyais qu'il se moquait de moi et je suis sensible à l'excès
de la moquerie.
Comment pouvais-je savoir qu'un psycho-expérimentaliste hautement
respecté comme Nemur n'avait aucune connaissance de l'hindoustani
ni du chinois ? C'est absurde quand on songe aux travaux actuellement
en cours en Inde et en Chine justement dans sa spécialité.
J'ai demandé au Dr Strauss comment Nemur pouvait réfuter
les attaques de Rahajamati contre sa méthode et ses résultais
s'il n'était même pas d'abord en mesure de les lire. L'étrange
expression que prit le visage du Dr Strauss ne peut avoir qu'une des deux
significations suivantes : ou bien il ne veut pas dire à Nemur
ce qu'on pense de ses travaux aux Indes, ou bien (et cela m'inquiète)
le Dr Strauss n'en sait rien non plus. Il faut que je prenne soin de parler
et d'écrire clairement et simplement pour que les gens ne soient
pas portés à rire.
18 mai. - Je suis très troublé. J'ai vu miss Kinnian hier
soir pour la première dois depuis plus d'une semaine. Je m'efforce
d'éviter toute discussion de concepts intellectuels et de maintenir
la conversation sur le plan de tous les jours, mais elle m'a regardé
d'un air étonné et m'a demandé ce que j'entendais
par l'équivalent d'une variation mathématique dans le Cinquième
concerto de Dobermann.
Quand j'essayai de le lui expliquer, elle m'arrêta et partit à
rire. Je crois que je me suis mis en colère, mais je suppose que
je ne me place pas sur le même plan qu'elle. Quel que soit le sujet
que j'essaie d'aborder avec elle, je ne parviens pas à communiquer.
Il faudra que je revoie les équations de Vrostadt sur les Paliers
de la Progression Sémantique. Je constate que je ne communique
plus beaucoup avec les gens. Heureusement que j'ai les livres, la musique
et quantité de sujets de méditation. La plupart du temps,
je suis seul dans mon appartement de la pension de famille de Mrs Flynn
et je parle rarement à qui que ce soit.
30 mai. - Je n'aurais pas remarqué le nouveau plongeur du restaurant
du coin de la rue où je vais dîner, un garçon d'environ
seize ans, s'il n'y avait eu l'incident de la vaisselle cassée.
Les assiettes lui échappèrent et dégringolèrent
sur le plancher, envoyant des morceaux de faïence blanche sous les
tables. Le jeune homme restait là, ahuri et épouvanté,
le plateau vide dans ses mains. Les exclamations et les quolibets des
clients, les cris de "Faites chauffer la colle ! "... "Bon
mon vieux ! si c'est comme ça que tu fais des bénéfices
! " ,"Eh bien, en voilà un qui va pas travailler longtemps
ici... " qui semblent suivre invariablement le bris de verres ou
de vaisselle dans un restaurant, tout cela parut le jeter dans une profonde
confusion.
Quand le propriétaire arriva pour voir la cause de l'agitation.
Le garçon baissa la tête comme s'il s'attendait à
être frappé et leva ses bras repliés comme pour parer
le coup.
- C'est bon ! C'est bon ! grand nigaud, cria le propriétaire, ne
reste pas planté là ! Va plutôt chercher le balai
et ramasse ce gâchis. Un balai... un balai, idiot ! Il est dans
la cuisine. Ramasse tous les morceaux.
Le garçon comprit qu'il ne serait pas puni. Son expression d'effroi
disparut et quand il revint avec le balai, il avait le sourire aux lèvres
et fredonnait. Quelques-uns des clients les plus bruyants continuèrent
de faire des remarques facétieuses à ses dépens.
- Dis donc, fiston, t'en oublies un morceau là-bas derrière
toi...
- Et voilà, y a plus qu'à recommencer...
- Il est pas si bête, dans le fond. C'est plus facile de les casser
que de les laver...
Comme son regard vide d'expression errait sur la foule des spectateurs
amusés, la contagion de leurs sourires le gagna un peu et sa bouche
se fendit finalement en une grimace mal assurée qui indiquait clairement
qu'il ne comprenait pas le ridicule de la situation. . .
Mon cur se serra tandis que j'observais son sourire disloqué,
hébété, et ses yeux dilatés et brillants d'enfant
inquiet, mais soucieux de satisfaire tout le monde. On se moquait de lui
parce qu'il était mentalement retardé. Et moi aussi, je
m'étais moqué de lui. Soudain, j'entrai en fureur contre
moi-même et contre tous ceux qui le regardaient en lui souriant
d'un air affecté. Je me levai et criai :
- Ça suffit ! Fichez-lui la paix ! Ce n'est pas sa faute s'il ne
peut comprendre ! S'il est ainsi, il n'y peut rien ! Mais, bon Dieu! c'est
un être humain !
Le silence se fit dans la salle. Je me maudis aussitôt d'avoir perdu
mon sang-froid et causé du scandale, j'essayai de ne pas regarder
le jeune garçon tandis que je réglais mon addition et sortais
sans avoir touché à mon repas. Je me sentais honteux pour
lui et pour moi.
Comme il est étrange que des gens sincères et sensibles,
que l'idée n'effleurerait pas de se moquer d'un homme privé
de ses membres ou de ses yeux, ne songent qu'à se montrer cruels
envers un faible d'esprit ! J'étais furieux à la pensée
que, peu de temps encore auparavant, j'avais joué le même
rôle de bouffon que ce garçon.
Et maintenant j'avais presque oublié. J'avais dissimulé
à mes propres yeux l'image de l'ancien Charlie Gordon parce que,
maintenant que j'étais intelligent, c'était devenu un souvenir
à chasser de mon esprit. Mais aujourd'hui, en regardant ce garçon.
Je voyais pour la première fois ce que j'avais été.
J'avais été exactement comme lui!
Je n'ai compris que depuis peu que les gens se moquaient de moi. Et voilà
que, sans en avoir conscience, Je m'étais joint aux autres pour
rire de ce que j'étais. C'est cela qui me blesse le plus.
J'ai relu plus d'une fois mes comptes rendus et j'ai été
frappé par l'ignorance, la naïveté et la puérilité
qui les caractérisent. J'ai revu cet esprit obtus, environné
de ténèbres, cherchant à capter un filet de la lumière
éblouissante baignant le monde extérieur. Je vois que, même
dans ma stupidité, je me rendais compte que j'étais inférieur
et que les autres possédaient quelque chose qui me manquait, quelque
chose qui m'était refusé. Dans ma torpeur mentale, je pensais
qu'il s'agissait d'une chose ayant un rapport avec l'aptitude à
lire et écrire et j'étais persuadé que, si je pouvais
acquérir ces capacités, j'aurais automatiquement l'intelligence.
Même un faible d'esprit aspire à être semblable aux
autres : Un enfant peut ne pas savoir comment se nourrir, ni ce qu'il
lui faut manger, et cependant il connaît la faim.
C'est donc ainsi que j'étais. Je ne m'en étais jamais douté.
Même avec l'acuité intellectuelle dont je suis maintenant
pourvu, je ne m'en étais pas encore vraiment rendu compte.
Cette journée a été salutaire pour moi. Avec une
plus claire vision du passé, j'ai décidé d'employer
mes connaissances et mes facultés à travailler à
l'élévation du niveau intellectuel de mes semblables.
Qui serait mieux équipé que moi, pour cette tâche
? Qui d'autre a vécu dans ces deux mondes ? L'humanité a
besoin de moi. Je dois utiliser mes talents nouvellement acquis pour faire
quelque chose pour elle.
Demain, je m'entretiendrai avec le Dr Strauss de la façon dont
je puis travailler dans ce domaine. Il se peut que je sois en mesure de
l'aider à résoudre le problème de l'application généralisée
de la technique expérimentale sur moi. J'ai plusieurs bonnes idées
personnelles.
Une telle technique permettrait d'obtenir des résultats stupéfiants.
Si on a pu faire de moi un génie, que ne pourrait-on faire avec
des milliers d'autres comme moi ? Quels niveaux fantastiques atteindrait-on
en appliquant cette technique à des gens normaux ? Et à
ceux qui seraient déjà des génies au départ
?
Il y a tant de portes à ouvrir. Je suis impatient de commencer.
Compte rendu 12. - 23 mai C'est arrivé aujourd'hui. Algernon m'a
mordu. J'étais allé au labo pour la voir, comme je le fais
de temps à autre et, quand je l'ai prise dans sa cage, elle m'a
planté ses dents dans la main. Je l'ai remise en place et je l'ai
observée un moment. Contrairement à son habitude, elle était
agitée et mauvaise.
24 mai. - Burt, qui a la charge des animaux d'expérience, me
dit qu'un changement se produit chez Algernon. Elle est moins disposée
à coopérer; elle refuse de parcourir le labyrinthe; sa motivation
générale a diminué. Et elle ne mange plus. Tout le
monde s'interroge anxieusement sur ce que cela peut signifier.
25 mai. - On a nourri Algernon, qui refuse maintenant de résoudre
le problème de la serrure. Chacun m'identifie à Algernon.
D'un certain sens, nous sommes tous les deux les premiers de notre sorte.
Tout le monde prétend que le comportement d'Algernon n'est pas
nécessairement une indication du mien. Mais il est difficile de
dissimuler le fait que certains des autres animaux utilisés dans
cette expérience se comportent étrangement eux aussi.
Le Dr Strauss et le Dr Nemur m'ont demandé de ne plus venir au
labo. Je sais ce qu'ils pensent, mais je ne puis l'accepter, je poursuis
l'élaboration de mes plans en vue de pousser leurs recherches plus
avant. Malgré tout le respect que je dois à ces deux savants,
je me rends fort bien compte des limites de leurs capacités. S'il
y a une solution, c'est à moi de la trouver. Le temps est subitement
devenu très important pour moi.
29 mai. - On m'a donné un laboratoire pour moi seul et l'on m'a
autorisé à poursuivre mes recherches, je suis en voie de
découvrir quelque chose. Je travaille jour et nuit. je me suis
fait installer un lit dans le labo. Ce que j'écris, ce sont surtout
des notes que je conserve dans une chemise séparée, mais,
de temps à autre. j'éprouve le besoin de coucher sur le
papier mes pensées et mes états d'âme, par simple
habitude.
Le calcul de l'intelligence est pour moi une fascinante étude.
C'est là que je puis appliquer toutes les connaissances que j'ai
acquises. D'une certaine manière, c'est le problème auquel
j'ai été intéressé toute ma vie.
31 mai. - Le Dr Strauss trouve que je travaille trop. Le Dr Nemur dit
que j'essaie de faire tenir en quelques semaines une vie entière
de recherches et de pensées. Je sais que je devrais me reposer,
mais je suis poussé par quelque chose d'intérieur qui ne
veut pas me laisser arrêter. Il faut que je trouve la raison de
la brusque régression d'Algernon. Il faut que je sache si et quand
cela m'arrivera.
LETTRE AU Dr STRAUSS (copie)
Cher Dr Strauss,
Je vous envoie sous pli séparé un exemplaire de mon rapport
intitulé: "L'effet Algernon-Gordon : Etude de la structure
et des fonctions de l'intelligence accrue." Vous me feriez plaisir
en le lisant et en le faisant publier.
Comme vous le voyez, mes expériences sont terminées. J'ai
fait figurer dans mon rapport toutes mes formules ainsi que, en annexe,
l'analyse mathématique. Il est évident que tout ceci devrait
faire l'objet de vérifications pratiques.
Etant donné leur importance pour vous et pour le Dr Nemur (et,
est-il besoin de le dire, pour moi aussi ?) j'ai vérifié
et revérifié mes résultats une douzaine de fois dans
l'espoir de découvrir une erreur. Je regrette de devoir dire que
les résultats sont valables. Toutefois, dans l'intérêt
de la science, j'ai plaisir à apporter ma petite contribution aux
connaissances sur les fonctions de l'esprit humain et les lois régissant
l'augmentation artificielle de l'intelligence.
Je me rappelle vous avoir entendu dire un jour que l'échec d'une
expérience ou la preuve de l'inexactitude d'une théorie
étaient aussi importants pour l'avancement du savoir que pouvait
l'être un succès. Je sais maintenant que cela est vrai. Je
regrette toutefois que ma propre contribution en ce domaine doive être
édifiée sur les cendres des travaux de deux hommes que je
tiens en si haute estime.
Salutations distinguées,
Charles GORDON.
Pièce jointe : rapport.
5 Juin. - II ne faut pas que je me laisse émouvoir. Les faits
et les résultats de mes expériences sont clairs et les aspects
les plus sensationnels de ma rapide ascension ne peuvent dissimuler que
la multiplication par trois de l'intelligence, grâce à la
technique chirurgicale mise au point par les Drs Strauss et Nemur, doit
être considérée comme non applicable pratiquement
(à l'heure actuelle) en vue de l'augmentation de l'intelligence
humaine.
En examinant les données recueillies au sujet d'Algernon, je vois
que, bien que physiquement encore dans son enfance, elle est revenue en
arrière mentalement. Son activité motrice est atteinte;
on constate une réduction générale de l'activité
glandulaire et une perte accélérée de la coordination.
On relève également de fortes indications d'amnésie
progressive.
Comme on le verra dans mon rapport, ces effets et d'autres syndromes de
dégradation physique et mentale peuvent être prédits
avec des résultats statistiquement significatifs par l'application
de ma formule.
Le stimulant chirurgical auquel nous avons tous deux été
soumis a déterminé une intensification et une accélération
de tous les processus mentaux. L'évolution imprévue, que
j'ai pris la liberté de nommer l'Effet Algernon-Gordon, est l'extension
logique de toute la stimulation de l'intelligence. L'hypothèse
prouvée ici doit être exprimée de façon simple
dans les termes suivants : l'intelligence artificiellement augmentée
se dégrade à une vitesse directement proportionnelle à
l'augmentation en cause.
J'ai l'impression que ceci est en soi, une importante découverte.
Aussi longtemps que je pourrai écrire, je continuerai d'enregistrer
mes pensées dans ces comptes rendus. C'est l'un de mes rares plaisirs.
Cependant, d'après toutes les indications, ma dégradation
mentale sera très rapide.
J'ai déjà commencé à constater des signes
d'instabilité émotionnelle et de perte de mémoire,
premiers symptômes d'épuisement.
10 juin. - La dégradation continue. Je suis devenu distrait. Algernon
est morte il y a trois jours. La dissection a montré que mes prévisions
étaient justes. Son cerveau avait perdu du poids, il s'était
produit un nivellement général des circonvolutions cérébrales
et les fissures étaient devenues plus profondes et plus larges.
J'imagine que la même chose est en train de m'arriver ou m'arrivera
bientôt.
Maintenant que c'est un fait certain, je ne veux pas que cela arrive.
J'ai mis Algernon dans une boîte à fromage et je l'ai enterrée
dans la cour. J'ai pleuré.
15 juin. - Le Dr Strauss est revenu me voir. Je n'ai pas voulu lui ouvrir
et je lui ai dit de s'en aller; je veux qu'on me laisse tranquille. Je
suis devenu susceptible et irritable. Je sens l'obscurité qui se
referme sur moi. Il m'est difficile de rejeter des idées de suicide.
Je ne cesse de me dire combien sera important ce journal introspectif.
C'est une étrange sensation de prendre un livre qu'on a lu et qui
vous a plu quelques mois seulement auparavant et de découvrir qu'on
ne s'en souvient pas. Je me rappelle combien je tenais John Milton pour
un grand poète, mais quand j'ai pris le Paradis perdu, je n'ai
pas pu le comprendre. Cela m'a mis dans une telle colère que j'ai
jeté le livre à travers la pièce.
Il faut que j'essaie de m'accrocher, de retenir une partie de ce que j'ai
appris. Oh! mon Dieu, ne me reprenez pas tout !
19 juin. - Parfois, la nuit. Je me lève pour aller me promener.
La nuit dernière, je ne pouvais plus me rappeler où j'habitais.
Un policeman m'a ramené. J'ai l'étrange sensation que tout
cela m'est déjà arrivé - il y a très longtemps.
Je ne cesse de me dire que je suis la seule personne au monde qui puisse
décrire ce qui m'arrive.
11 juin. - Pourquoi ne puis-je me souvenir ? Il faut que je lutte. Je
reste au lit pendant des jours et je ne sais qui je suis ni où
je me trouve. Puis tout me revient dans un éclair. Accès
d'amnésie. Symptômes de sénilité - seconde
enfance. Je les vois arriver. C'est d'une logique si cruelle. J'ai appris
tant de choses et si vite! Maintenant mon esprit se dégrade rapidement.
Mais je ne permettrai pas que cela m'arrive. Je vais lutter. Je ne peux
m'empêcher de me rappeler le garçon du restaurant, son expression
vide, son sourire stupide, les gens qui riaient de lui. Non - par pitié
- pas cela de nouveau...
22 juin. - Je suis en train d'oublier des choses que j'ai apprises récemment.
Il semble que ce soit le processus habituel : les dernières choses
apprises sont les premières oubliées. Au fait, est-ce bien
ainsi que cela se passe ? Je ferais mieux de revoir dans le livre... J'ai
relu mon exposé sur l'Effet Algernon-Cordon et j'ai l'étrange
impression qu'il a été écrit par quelqu'un d'autre.
Il y a des passages que je ne suis même pas capable de comprendre.
Mon activité motrice est atteinte. Je trébuche constamment
sur des choses et il me devient de plus en plus difficile de taper à
la machine.
.
23 juin. - J'ai complètement abandonné la machine à
écrire. Ma coordination est mauvaise. Je sens que mes mouvements
deviennent de plus en plus lents. J'ai eu un choc terrible aujourd'hui.
J'ai pris un article que j'utilisais dans mes recherches : " Ueber
psycbishe Ganzheit " de Krueger, pour voir si cela pourrait m'aider
à comprendre ce que j'avais fait. J'ai d'abord pensé à
une défaillance de ma vue. Puis j'ai compris que je ne pouvais
plus lire l'allemand. J'ai fait des essais avec d'autres langues. Toutes
parties !
10 juin. - Une semaine passée sans m'être risqué
à reprendre la plume. Le temps s'écoule comme du sable entre
mes doigts. La plupart des livres que j'ai sont trop difficiles pour moi
maintenant. Il me font mettre en colère parce que je les lisais
et les comprenais il y a seulement quelques semaines.
Je me répète sans cesse que je dois continuer à rédiger
ces comptes rendus, car il faut que quelqu'un sache ce qui m'arrive. Mais
il me devient de plus en plus difficile de former les mots et de me rappeler
comment ils s'orthographient. Maintenant je suis forcé de chercher
les mots les plus simples dans le dictionnaire et cela m'énerve.
Le Dr Strauss vient presque chaque jour, mais je lui ai dit que je ne
voulais voir personne. Il se sent coupable. Tous les autres aussi. Mais
je ne blâme personne. Je savais ce qui risquait d'arriver. Mais
comme cela fait mal!
7 juillet. - Je ne sais où a fui la semaine. Aujourd'hui c'est
dimanche je le sais parce que je peux voir par ma fenêtre les gens
qui vont à l'église. Je crois que je suis resté au
lit toute la semaine mais je me rappelle que Mrs Flynn m'a apporté
plusieurs fois à manger. Je n'arrête pas de me dire qu'il
faut que je fasse quelque chose mais j'oublie ou bien c'est simplement
qu'il est plus facile de ne pas faire ce que je dis que je vais faire.
Je pense beaucoup à ma mère et à mon père
ces jours-ci. J'ai trouvé une photo d'eux avec moi prise sur une
plage. Mon père a un gros ballon sous le bras et ma mère
me tient par la main. Je ne me les rappelle pas comme ils sont sur la
photo. Tout ce que je me rappelle c'est mon père ivre la plupart
du temps et se disputant avec maman au sujet d'argent.
Il ne se rasait pas souvent et ça grattait quand il m'embrassait.
Ma mère disait qu'il était mort mais mon cousin Miltie disait
qu'il avait entendu sa mère et son père dire que papa était
parti avec une autre femme. Quand j'ai questionné ma mère
elle m'a giflé et a dit que mon père était mort.
Je ne pense pas avoir jamais trouvé où était la vérité
mais ça m'est égal. (Il disait qu'il allait m'emmener voir
des vaches dans une ferme, mais il ne l'a jamais fait. Il ne tenait jamais
ses promesses...)
10 juillet, - Ma propriétaire Mrs Flynn se fait beaucoup de souci
pour moi. Elle dit que la façon dont je reste là toute la
journée sans rien faire ça lui rappelle son fils avant qu'elle
le mette à la porte de chez elle. Elle dit qu'elle n'aime pu les
fainéants. Si je suis malade ça se comprend mais si je fainéante
c'est autre chose et elle ne veut pas de ça. Je lui ai dit qu'il
me semblait que j'étais malade.
J'essaie de lire un peu tous les jours, surtout des histoires, mais je
suis parfois obligé de lire plusieurs fois la même chose
parce que je ne comprends pas. Et il est difficile d'écrire. Je
sais qu'il faudrait que je vérifie tous les mots dans le dictionnaire
mais c'est difficile et je suis toujours si fatigué.
J'ai eu l'idée de n'employer que les mots faciles au lieu de ceux
qui sont longs et difficiles. Ça me fait gagner du temps. Je mets
des fleurs sur la tombe d'Algernon environ une fois par semaine. Mrs Flynn
pense que je suis fou de mettre des fleurs sur la tombe d'une souris mais
je lui ai dit qu'Algernon n'était pas une souris comme les autres.
14 juillet. - C'est encore dimanche. Je n'ai plus rien pour m'occuper
maintenant parce que ma télévision est cassée et
je n'ai pas d'argent pour la faire réparer. (Je crois que ce mois-ci
j'ai perdu mon chèque de paie du labo. Je ne me rappelle plus.)
J'ai des maux de tête terribles et l'aspirine ne me soulage pas
beaucoup. Mrs Flynn sait que je suis vraiment malade et elle est très
ennuyée pour moi. C'est une femme merveilleuse quand quelqu'un
est malade.
22 juillet. - Mrs Flynn a fait venir un docteur pour m'examiner. Elle
avait peur de me voir mourir. J'ai dit au docteur que je n'étais
pas très malade mais que j'oublie simplement les choses. Il m'a
demandé si j'avais des amis ou des parents et j'ai dit que non
je n'en ai pas. Je lui ai dit que j'avais un ami qui s'appelait Algernon,
mais c'était une souris et nous faisions des courses tous les deux.
Il m'a regardé d'un drôle d'air comme s'il pensait que j'étais
fou.
Il a eu un sourire quand je lui ai dit que j'avais été un
génie, il me parlait comme si j'étais un bébé
tout en faisant des clins d'il à Mrs Flynn. Je me suis mis
en colère et je l'ai chassé parce qu'il se moquait de moi
comme ils le faisaient tous autrefois.
24 juin. -Je n'ai plus d'argent et Mrs Flynn dit qu'il faut que j'aille
travailler quelque part pour payer mon loyer parce que je ne l'ai pas
payé depuis plus de deux mois. Je ne connais pas d'autre travail
que celui que je faisais à la Fabrique de Boites en Plastique Donnegan.
Je ne veux pal y retourner parce qu'ils me connaissaient tous quand j'étais
intelligent et peut-être qu'ils riront de moi. Mais je ne sais pas
quoi faire d'autre pour avoir de l'argent.
25 Juillet. - Je regardais quelques-uns de mes comptes rendus et c'est
très drôle, mais je ne peux pas lire ce que j'écrivais.
Je peux reconnaître quelques mots mais ils n'ont plus de sens pour
moi.
Miss Kinnian est venue à la porte mais je lui ai dit : allez-vous-en,
je ne veux pas vous voir. Elle a pleuré et j'ai pleuré aussi
mais je ne voulais pas la laisser entrer parce que j'avais peur qu'elle
se mette à rire de moi. Je lui ai dit que je ne l'aimais plus.
Je lui ai dit que je ne voulais plus être intelligent. Ce n'est
pas vrai. Je l'aime toujours et je veux toujours être intelligent
mais il fallait que je lui dise ça pour qu'elle s'en aille. Elle
a donné de l'argent à Mrs Flynn pour payer mon loyer. Je
ne veux pas de ça. Il faut que je trouve du travail.
Par pitié... par pitié, faites que je sache toujours lire
et écrire...
27 juillet. - Mr Donnegan a été très gentil quand
je suis revenu le trouver pour lui demander de me rendre mon travail de
gardien. Pour commencer il s'est montré très soupçonneux
mais je lui ai dit ce qui m'arrivait et alors il a eu l'air triste et
m'a mis sa main sur l'épaule en disant Charlie Gordon tu as du
cran.
Tout le monde m'a regardé quand je suis descendu et que j'ai commencé
à travailler aux toilettes en les nettoyant comme j'en avais l'habitude.
Je me disais Charlie s'ils se moquent de toi ne te mais pas en colère
parce qu'ils ne sont pas si intéligens que tu croyais autrefois
qu'ils l'étaient. Et puis c'était tes amis et s'ils rient
de toi ça veut rien dire parce qu'ils t'aimaient aussi.
Un des nouveaux qui sont entrés après mon départ
a fait une plaisanterie il a dit Charlie parait que t'es un as comme on
en voit au quitte ou double. Dis-moi quelque chose d'intéligen.
Ça m'a fait mal mais Joe Carp s'est approché et la empoigné
par sa chemise et lui a dit laisse le tranquille espèce de gros
lourdau ou je te casse la figure. Je m'attendais pas a ce que Joe prenne
mon parti aussi je crois qu'il est vraiment mon ami.
Plus tard Frank Reilly est venu et m'a dit Charlie si y en a un qui t'embête
ou qui se moque de toi t'as qu'à nous appeler moi ou Joe et on
se chargera de lui. J'ai dit merci Frank et il a fallu que je fasse demi-tour
et que j'entre au magasin pour qu'il me voie pas pleurer. C'est bon d'avoir
des amis.
28 juillet. - J'ai fait une chose idiote aujourd'hui j'ai oublié
que j'étais plus dans la classe de miss Kinnian au cour pour adultes
comme dans le tant. Je suis entré et j'ai été m'assoir
a ma place au fond de la classe et elle m'a regardé drôlement
et elle a dit Charles. Je me rapèle pas l'avoir entendu m'apeler
comme ça autrefois seulement Charlie alors j'ai dit bonjour miss
Kinnian je suis prêt pour ma lesson aujourdhui mai j'ai perdu le
livre que j'avais. Elle s'est mise a pleuré et elle est sortie
de la classe en courant et tout le monde ma regardé et j'ai vu
que c'était pas les mêmes jens qu'avant.
Alor tout d'un cou je me suis souvenu de quelques choses sur l'opération
et coman j'étais devenu intélijan et j'ai dit bon san j'ai
fait mon Charlie Gordon cette fois. Je suis parti avant qu'elle rantre
dans la classe.
C'est pour sa que je quitte New York pour de bon. Je veu plus qu'il m'arive
rien comme sa. Je veu pas que miss Kinnian me plaigne. Tout le monde me
plain a l'usine et je veu pas de sa non plus alor je vai dans un androit
ou personne sait que Charlie Gordon a été un géni
et que maintenan il sait plus lire un livre ni écrire comme il
faut.
J'emporte deus livres avec moi et même si je peu pas les lire j'essayerai
et peutètre que j'oublirai pas tout ce que jaurai apri. Si j'essaye
vraiman fort peutètre que je serai un peu plus intélijan
qu'avant l'opération. J'ai ma patte de lappin et ma pièce
porte boneur et peutètre que sa maidera.
Si vous lisé ces lignes un jour miss Kinnian me plaigné
pas je sui eureu d'avoir u une chance d'ètre intélijan lorsque
j'ai apri des tas de chose que je savai même pas qu'elles existait
et je suis contant d'avoir vu tou sa un petit moman. Je sais pas pourquoi
je suis bête comme avant ou ce que j'ai fait peutètre que
c'est parce que j'essaye pas assé fort. Mais si j'essaye et si
je m'exerce très fort peutètre que je deviendré un
peu plu intélijan et que je saurai ce que c'est que tous ces mots.
Je me rapèle un peu comme j'étai contant d'avoir ce livre
bleu avec une couverture déchiré quan je le lisai. C'est
pour sa que je vai essayé de devenir intélijan pour avoir
ancor cette impression. Sa fait du bien de conaitre des choses et d'être
intélijan. Je voudrai avoir cette inpression, mintenan alor je
massoirai et je lirai tou le tant. En toucas je pari que je sui la première
personne bête au monde a avoir trouvé quelque chose d'important
pour la cience. Je me rapèle que j'ai fait quelque chose mais je
me rapèle pas quoi. Alor je croi que je l'ai fait pour tou les
jans bêtes comme moi.
Adieu miss Kinnian et Dr Strauss et toulemonde.
Et P.S. dite au Dr Nemur de ne pas être si mauvais quan les jans
ri de lui, et il aura pluss d'amis. C'est facil d'avoir des amis si on
laisse les jans rire de soi. Je vai avoir des tas d'amis la ou je vais
allé.
P.P.S. S'il vouplai si vous ave l'ocazion metté des fleurs sur
la tombe d'Algernon dans la cour...
DES FLEURS POUR ALGERNON
Par Daniel Keyes
L'histoire d'un attardé mental sur qui des médecins pratiquent
une intervention chirurgicale dans le but de stimuler son intelligence.
L'expérience réussit bien entendu et le personnage se retrouve
bientôt plus intelligent que les médecins qui l'ont opéré.
Plus intelligent que n'importe qui même. La seule question qui reste
est : pour combien de temps ? La transformation est-elle définitive
ou risque-t-il de régresser jusqu'à son stade antérieur
? Pour y répondre, c'est lui-même qui reprendra les recherches
médicales sur l'intervention qu'il a subie.
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LES MONSTRES
par Robert Sheckley
Sous la plume des spécialistes de la science-fiction d'aventures,
il y a en général un minimum de temps perdu entre le moment
où le héros terrien arrive sur la planète mystérieuse
et celui où il en affronte les premiers dangers. En cas de besoin,
on lui a fait suivre un cours accéléré en la langue
locale, mais c'est surtout pour ne plus avoir à revenir ultérieurement
sur cette difficulté, mineure en comparaison avec les exploits
qui l'attendent. Pour évaluer cependant la réalité
des problèmes que posera le simple contact entre deux espèces
intelligentes, un moyen simple consiste à inverser les points -de
vue : à montrer, en d'autres termes, les visiteurs terriens à
travers les yeux des planétaires qu'ils viennent découvrir,
HUM et Cordovir , de la colline, assistèrent à l'événement
nouveau. Tous deux en retirèrent une impression favorable. Indubitablement,
c'était la plus grande, nouveauté survenue depuis un certain
temps.
" A voir le soleil s'y refléter, nota Hum, je dirai que la
chose est faite de métal.
- Je suis d'accord, fit Cordovir. Mais qu'est-ce qui la fait tenir en
l'air ?"
Dans la vallée, se poursuivait l'événement nouveau.
Un objet pointu se tenait en suspension au-dessus du sol. Une substance
semblable au feu s'échappait de l'une de ses extrémités.
" Elle se tient en équilibre sur le feu, déclara Hum.
Même ton il sénile devrait s'en apercevoir. "
Cordovir se haussa davantage sur sa queue épaisse, pour mieux voir.
A ce moment, l'objet prit contact avec le sol et le feu s'arrêta.
" Descendons-nous voir de plus près ? demanda Hum.
-Entendu. Je pense que nous avons le temps... non, attends ! Quel jour
sommes-nous ?" Hum fit un silencieux calcul. - Le cinquième
jour de Luggat.
- Zut. dit Cordovir, il faut que je rentre chez moi tuer ma femme.
- Tu as le temps. Le soleil ne se couche que dans plusieurs heures."
Cordovir était incertain. " Tu sais que j'ai horreur d'être
en retard.
- Eh bien... tu connais ma vélocité, fit obligeamment Hum.
S'il se fait trop tard, je me hâterai d'aller la tuer moi-même.
Cela te convient-il ?
- C'est vraiment trop aimable à toi", dit Cordovir à
son cadet avec reconnaissance.
Ensemble ils se mirent à dévaler en glissant la pente de
la montagne.
Devant l'objet de métal, ils firent halte et s'installèrent
sur leur queue.
" Plutôt plus grand que je ne pensais ", dit Cordovir,
en évaluant du regard l'objet. Il l'estima à peu près
de la taille de leur village. Ils rampèrent tout autour, observant
que le métal était travaillé, apparemment par des
tentacules humaines.
A l'horizon, le plus petit des soleils s'était déjà
couché.
" Je crois qu'il vaut mieux rentrer, déclara Cordovir.
-Moi, j'ai tout le temps. " Hum étira ses muscles d'un air
suffisant.
" Oui. mais. réflexion faite, un homme aime bien tuer sa femme
lui-même.
- Comme tu voudras." Ils partirent à vive allure en direction
du village.
Dans sa maison, la femme de Cordovir finissait de préparer le dîner.
Elle avait le dos tourné à la porte, comme l'exigeait l'étiquette.
Cordovir la tua d'un coup de queue bien appliqué, traîna
le corps à l'extérieur et revint s'installer pour manger.
Après le repas, il fit une méditation, puis il se rendit
à la Réunion. Hum, avec la fougue de la jeunesse, s'y trouvait
déjà, occupé à discourir sur l'objet de métal.
Avec un léger dégoût, Cordovir pensa qu'il avait dû
avaler son dîner sans prendre la peine de mâcher.
Quand il eut fini, Cordovir communiqua ses propres observations. Il n'ajouta
qu'une idée au compte rendu de Hum : l'objet de métal pouvait
renfermer des créatures intelligentes.
" Qu'est-ce qui te le fait croire? demanda Mishill, un autre vieillard.
- Le feu qui s'en échappait lors de sa descente s'est arrêté
une fois l'objet au sol, déclara Cordovir. Je soutiens que quelque
créature a pu en fermer la source.
- Pas nécessairement ", répondit Mishill. Les hommes
du village continuèrent à discuter tard dans la nuit. Puis
ils rompirent l'assemblée, procédèrent à l'enterrement
des diverses épouses qu'ils avaient tuées et s'en retournèrent
chez eux.
Couché dans le noir, Cordovir se rendit compte qu'il n'avait pas
adopté d'opinion définitive concernant l'événement
nouveau. A supposer que l'objet renfermât des créatures sensées,
celles-ci posséderaient-elles une morale ?... Pourraient-elles
avoir la notion du bien et du mal ?... Cordovir, avant de s'abandonner
au sommeil, se permit d'en douter.
Le lendemain matin, tous les habitants mâles du village s'en vinrent
examiner l'objet. C'était là ce qui convenait, puisque les
fonctions des hommes consistaient à examiner les faits nouveaux
et à limiter la population féminine. Ils formèrent
un cercle autour de l'objet, en faisant des conjectures sur ce qui pouvait
se trouver à l'intérieur.
" Je crois que ce seront des êtres humains ", dit Esktel,
le frère aîné de Hum.
Le corps tout entier de Cordovir se secoua en signe de désaccord.
" Des monstres, beaucoup plus probablement ! s'exclama-t-il. D'après
le calcul des probabilités...
-Pas nécessairement, fit Esktel. A considérer la logique
de notre développement physique, un simple regard peut...
- Oui. mais dans le grand Espace Externe, continua Cordovir. il peut exister
bien des races étranges, la plupart non humaines. Dans l'infinité...
- Cependant la logique de notre...
-Le nombre de chances pour qu'ils nous ressemblent est infinitésimal.
Il n'y a qu'à voir leur véhicule. Est-ce que nous construirions...
- Mais sur des bases strictement logiques, il est indubitable que... "
C'était la troisième fois que Cordovir se faisait interrompre.
D'un bon coup de queue, il projeta Esktel contre l'objet de métal.
Esktel tomba mort sur le sol.
- J'ai toujours pensé que mon frère était un malotru,
remarqua Hum. Que disions-nous ?"
Cordovir allait reprendre la parole, mais fut interrompu de nouveau. Dans
l'objet de métal, quelque chose s'ouvrit brusquement et une créature
fit son apparition.
Immédiatement, Cordovir constata qu'il avait eu raison. La Chose
monstrueuse qui se hissait hors de son trou avait l'équivalent
de deux queues jumelles. Le haut de son corps présentait une grotesque
excroissance faite mi-partie de métal et mi-partie de peau. Et
sa couleur ! Cordovir en frémit.
La Chose avait la couleur blême de la chair écorchée.
Les villageois avaient reculé, attendant les réactions du
monstre. Celui-ci d'abord n'en eut aucune. Il se contentait de se tenir
stupidement sur la surface métallique, et ce renflement bulbeux
qui surmontait sa personne se mouvait de part et d'autre. Mais aucun mouvement
du corps n'accompagnait le geste pour lui donner une signification. Finalement,
l'être éleva ses deux tentacules et fit des bruits.
" Est-ce que par hasard, il essaierait de communiquer ? " demanda
Mishill.
Par le trou, sortirent alors trois autres créatures qui tenaient
des baguettes de métal dans leurs tentacules. Les êtres échangèrent
des bruits.
" Ils sont définitivement non humains, dit avec fermeté
Cordovir. Reste à savoir si ce sont des créatures morales.
"
Une des Choses rampa au bas de l'objet de métal et se campa devant.
Les autres pointèrent leurs baguettes en direction du sol. Cela
semblait être une espèce de cérémonie religieuse.
" Des êtres aussi hideux peuvent-ils être détenteurs
d'une morale ?" continua Cordovir, la peau contractée de dégoût.
A les voir de plus près, les créatures étaient plus
horribles qu'on n'aurait pu les rêver. L'objet bulbeux en haut de
leur corps pouvait bien être, après tout, une tête
- nota Cordovir - bien que jamais il n'en eût vu de pareille! Mais
au centre de cette tête... ! Au lieu d'une élégante
surface unie, il y avait un ridicule petit promontoire. Deux échancrures
rondes s'ouvraient de chaque côté de celui-ci et, dans leur
prolongement, pendaient de chaque côté de la tête (si
tête il y avait) deux protubérances difformes. Enfin, dans
la moitié inférieure, courait une pâle entaille rougeâtre
; Cordovir supposa que cela pouvait être regardé comme une
bouche, avec beaucoup d'imagination.
Et ce n'était pas tout. La construction de ces êtres était
telle qu'elle, révélait, à l'intérieur du
corps, la présence d'os! Quand ils remuaient leurs membres, ce
n'était pas le mouvement souple, ondulant et fluide des êtres
humains. Cela ressemblait plutôt aux tressautements saccadés
d'une branche d'arbre.
" Dieu du ciel ! s'exclama un villageois dans la force de l'âge.
Tuons-les et arrachons-les à leur misérable condition !"
Les autres, pénétrés du même sentiment, se
portèrent en avant.
"Attendez ! cria un des jeunes. Essayons quand même de communiquer
avec eux, si l'entreprise peut être tentée. L'Espace Externe
est immense, souvenez-vous-en. et tout y est possible. "
Cordovir était partisan de l'extermination immédiate. mais
les autres villageois s'arrêtèrent pour discuter. Soudain.
Hum. avec une témérité caractéristique. s'avança
vers la Chose sur le sol.
" Salut , lança-t-il. La Chose fit entendre des bruits. "
Je ne comprends rien ". fit Hum, et il commença à battre
en retraite. La Chose alors agita ses tentacules jointes (si l'on pouvait
appeler cela des tentacules) et montra un des soleils. Elle émit
un bruit.
"Oui. il fait chaud, hein ?" dit aimablement Hum. La chose montra
le sol et émit un autre bruit. "La récolte n'a pas
été très bonne cette année "dit Hum sur
le ton de la conversation.
La Chose se montra elle-même, en émettant encore un bruit.
" Je suis bien d'accord, acquiesça Hum. Ça n'est pas
permis d'avoir l'air aussi vilain."
Mais les villageois commençaient à avoir faim et ils se
mirent en reptation sur le chemin du retour. Hum demeura à écouter
les êtres lui adresser des bruits, tandis que Cordovir l'attendait
nerveusement.
" Tu sais, déclara Hum quand il l'eut rejoint, je crois qu'ils
veulent apprendre notre langage. Ou m'enseigner le leur.
- Ne t'y prête pas, le prévint Cordovir, qui entrevoyait
la perspective obscure d'une profonde malédiction.
- Je crois que je le ferai, au contraire ", murmura Hum.
Ils rentrèrent au village et l'après-midi, Cordovir se rendit
à la réserve où étaient parqués les
surplus de femmes. Cérémonieusement, il demanda à
une jeune fille si elle voulait bien tenir son ménage pour les
vingt-cinq jours à venir. Bien entendu, elle accepta avec gratitude.
En sortant, Cordovir croisa Hum qui allait lui aussi à la réserve.
" Je viens de tuer ma femme, dit Hum (remarque superflue, car pour
quelle autre raison serait-il venu en ce lieu ?).
- Retournes-tu voir ces créatures demain ? s'informa Cordovir.
- Ce n'est pas impossible, si rien de nouveau ne se présente d'ici
là.
- Ce qui importe est de savoir si ce sont des êtres pourvus de facultés
morales ou des monstres.
- Exact ", dit Hum avant de continuer sa reptation.
Ce soir-là, après le souper, il y eut Réunion. De
l'avis commun de presque tous les villageois, les êtres d'outre-espace
étaient non-humains. Cordovir soutint vigoureusement que leur apparence
même déniait toute possibilité d'humanité.
Nulle créature à ce point hideuse n'eût pu jouir d'une
conscience apte à discerner le bien et le mal, à juger en
fonction de règles morales et, par-dessus tout, à posséder
la conception de la vérité.
Les jeunes cependant n'étaient pas de cet avis, sans doute à
cause de la pénurie d'événements nouveaux au cours
de ces derniers temps. Ils faisaient observer que l'objet de métal,
manifestement, était un produit de l'intelligence. Or. une intelligence
supposait nécessairement la faculté de différenciation.
Et cette faculté entraînait le sens du bon et du mauvais.
Ce fut une discussion savoureuse. Olgolel contredit Arast qui le tua.
Mavrt dans un accès de colère inattendu pour un individu
si placide, tua les trois frères Holian avant d'être tué
à son tour par Hum, qui se sentait d'humeur irritable. Le bruit
de la discussion parvenait jusqu'à la réserve des surplus
de femmes, à l'autre extrémité du village. Ravis
et fatigués, les villageois s'en furent dormir. La controverse
se poursuivit durant des semaines.
A part cela, la vie continuait comme à l'accoutumée. Les
femmes sortaient le matin, cherchaient de la nourriture, l'accommodaient,
pondaient leurs ufs. Les ufs étaient livrés
à la réserve des surplus pour être couvés.
Comme toujours, il éclosait huit nouveau-nés de sexe féminin
contre un de sexe masculin . Et, le vingt-cinquième jour du mariage,
chaque homme tuait sa femme et allait en prendre une autre.
Au début, les villageois se rendaient près de l'objet de
métal, pour voir Hum en train d'apprendre le langage. Puis ils
s'en lassèrent et retournèrent à leurs excursions
coutumières à travers forêts et collines, en quête
d'événements nouveaux.
Les monstres de l'espace sidéral demeuraient dans leur objet, n'en
sortant qu'en présence de Hum.
Vingt-quatre jours après l'arrivée des êtres non humains,
Hum annonça triomphalement qu'il pouvait communiquer avec eux.
d'après un code.
" Ils disent qu'ils sont venus de très loin. dans leur vaisseau
de l'espace, expliqua-t-il ce soir-là au village assemblé.
A les entendre, ils sont bisexués, comme nous, et, comme nous également,
humains. Ils prétendent qu'il y a des raisons à leur différence
d'aspect, mais je n'y ai rien compris.
- Si nous admettons qu'ils sont humains, déclara Mishill, ils ne
peuvent forcément dire que la vérité." Tout
le monde approuva.
" Ils disent qu'ils ne veulent pas déranger notre existence,
mais que l'observer les intéresserait beaucoup. Ils veulent venir
au village pour nous voir vivre.
- Nous n'avons pas de raison de refuser, fit l'un des jeunes.
- Non ! s'écria Cordovir. Vous livrez passage au Mal incarné.
Ces monstres respirent la traîtrise. Je les soupçonne d'être
capables de... de dire un mensonge!".
Mis au pied du mur, cependant, Cordovir ne put fournir aucune preuve susceptible
d'étayer cette accusation malveillante.
" Après tout, remarqua Sil, ce n'est pas parce qu'ils ont
l'air de monstres qu'on doit forcément leur attribuer une mentalité
monstrueuse.
- Je soutiens que si, lança Cordovir, mais il dut s'incliner devant
la majorité.
- Ils m'ont offert, poursuivit Hum, des objets de métal soi-disant
pour servir à diverses choses. Je n'ai pas relevé cette
infraction à l'étiquette, puisqu'ils ne sont pas censés
avoir de l'éducation."
Cordovir approuva. Le jeune Hum. en grandissant. devenait très
raffiné.
" Ils désirent venir au village demain.
- Non! hurla encore, mais en vain. Cordovir..
- Oh ! au fait... ajouta Hum comme chacun prenait congé. Ils ont
plusieurs femelles avec eux. Ce sont les créatures qui ont la bouche
très rouge. Il sera intéressant de voir comment les mâles
s'y prennent pour les tuer. C'est demain le vingt-cinquième jour
depuis leur venue. "
Le lendemain, les Choses d'un autre monde se dirigèrent vers le
village, en se mouvant lentement et laborieusement le long des collines.
Les villageois purent observer la fragilité extrême de leurs
membres atrophiés, la gaucherie pesante de leurs mouvements.
"Ils sont encore plus laids que je ne le croyais, marmonna Cordovir.
A les voir tous ensemble, c'est un spectacle de cauchemar. Et pas un pour
racheter l'autre. "
Une fois au village, les monstres étrangers se conduisirent avec
le plus parfait manque de décence. Ils visitèrent les huttes,
baragouinèrent devant la réserve des surplus de femmes,
ramassèrent des ufs pour les examiner, scrutèrent
les villageois à travers des choses noires et brillantes.
L'après-midi s'avançait lorsque Rantan, un des anciens,
décida que le moment était venu de tuer sa femme. Il poussa
de côté l'être qui encombrait le devant de sa hutte
et à coups de queue étendit l'épouse raide morte.
Instantanément, deux des êtres se mirent à jaboter
bruyamment, se hâtant de sortir de la hutte, où ils avaient
pénétré.
L'une de ces créatures avait la bouche rouge des femelles.
" II s'est rappelé que c'était l'heure de tuer la sienne
", observa Hum.
Les villageois attendirent. Mais rien ne se produisit. Le vieux Rantan
eut une illumination :
" J'y suis ! s'exclama-t-il. Il aimerait peut-être que quelqu'un
d'autre la tue à sa place. C'est peut-être la coutume dans
leur pays étrange. "
Sans plus de cérémonies, Rantan leva sa queue et abattit
au sol la femelle à bouche rouge.
Le monstre mâle fit un bruit effrayant et pointa sa baguette de
métal sur Rantan. Rantan s'effondra, mort.
"Tiens, c'est curieux, fit Mishill. Je me demande si cela dénote
de sa part une désapprobation ?"
Les êtres - ils étaient huit - s'amassèrent, en noyau.
L'un tenait la femelle morte, les autres dirigeaient leurs baguettes de
métal de tous côtés. Hum alla leur demander ce qui
n'allait pas.
" Je n'y comprends rien, dit-il en revenant. Ils ont employé
des mots que je n'ai pas appris. Mais j'interprète leur émotion
comme un signe de reproche." Les monstres se mirent à reculer
en groupe. Un autre villageois, jugeant que c'était le moment,
tua sa femme qui se tenait non loin de là. Les monstres s'arrêtèrent
et recommencèrent à jacasser en échangeant des gestes.
Puis ils se dirigèrent vers Hum.
Le corps de Hum était secoué d'incrédulité
quand il eut parlé avec eux.
" Si j'ai bien compris, parvint-il à articuler, ils nous ordonnent
de ne plus tuer une seule de nos .femmes !...
- Quoi ! s'écrièrent Cordovir et une douzaine d'autres.
- Je vais leur demander encore une fois." Hum retourna en conférence
avec les monstres qui agitaient leurs baguettes de métal dans leurs
tentacules.
" C'est bien ce que je pensais !" fit enfin Hum avec colère.
Sans autre préambule, il projeta sa queue en travers d'un des monstres,
l'envoyant atterrir à l'autre bout de la place du village. Immédiatement.
les autres brandirent leurs baguettes de métal tout en battant
en retraite rapidement.
Après leur départ, les villageois dénombrèrent
dix-sept morts du sexe masculin. Hum, pour quelque raison, avait réchappé
du carnage.
" Et maintenant, est-ce que vous me croirez ! cria Cordovir. Ces
créatures ont fait un mensonge délibéré !
Elles avaient prétendu qu'elles ne nous nuiraient pas et elles
ont tué dix-sept d'entre nous ! C'est plus qu'un acte amoral...
c'est une entreprise criminelle concertée !" Cela passait
presque l'entendement humain.
" Un mensonge délibéré ! "répéta
Cordovir, malade de dégoût, comme s'il eût proféré
un anathème.
On n'avait pratiquement jamais, dans les plus improbables thèmes
de discussions, envisagé l'hypothèse d'un être capable,
de dire un mensonge.
Les villageois furent hors d'eux sous l'effet de la colère et de
la répulsion, quand ils eurent pleinement réalisé
le concept d'une créature mensongère. Et, ajoutée
à cela, il y avait cette entreprise criminelle concertée!
C'était comme le plus horrible cauchemar brusquement venu à
la réalité. Il devenait soudain apparent que ces êtres,
ces monstres atroces, ne tuaient pas leurs femelles ! Indubitablement,
ils les laissaient pulluler librement ! Cette pensée avait de quoi
donner la nausée à un homme fort.
Les femmes en surplus quittèrent leur réserve et, accompagnées
par les épouses, demandèrent la cause de l'agitation. Une
fois mises au courant, elles furent encore deux fois plus indignées
que les hommes, car telle est la nature féminine.
"Qu'on les tue ! hurlèrent-elles. Qu'on ne les laisse pas
changer nos coutumes. Qu'on ne les laisse pas introduire l'immoralité
!
- J'aurais dû m'en douter ", déclara Hum avec tristesse.
Une femme se fit le porte-parole de ses compagnes :
" Nous autres, les femmes, voulons avoir une vie morale et décente,
à couver les ufs dans la réserve jusqu'à l'époque
de notre mariage. Et ensuite, vingt-cinq jours d'extase ! Comment pourrions-nous
désirer davantage ? Ces monstres détruiront notre mode de
vie. Ils rendront notre race aussi ignoble que la leur!... Qu'on les tue
tout de suite!
- Comprenez-vous maintenant ? jeta furieusement Cordovir à l'adresse
des hommes. Je vous avais prévenus, j'avais tout prévu,
et vous m'avez ignoré! Ah! les jeunes feraient mieux d'écouter
leurs aînés, en période de crise !... "
Dans sa rage, il tua deux jeunes gens d'un seul coup de queue. Les villageois
applaudirent.
" Chassons-les, cria-t-il, avant qu'ils nous corrompent !" -
Toutes les femmes se levèrent pour aller tuer les monstres.
" Ils ont des baguettes qui lancent la mort, remarqua Hum. Est-ce
qu'elles le savent ?
- Je suppose que non ", répondit Cordovir. Il était
complètement calmé maintenant. Va-le-leur dire.
- Je suis fatigué, dit Hum d'un ton boudeur. J'ai fait l'interprète.
Vas-y, toi.
- Oh ! bon. allons-y tous les deux ", fit Cordovir, agacé
par l'humeur maussade de l'adolescent.
Accompagnés par la moitié des villageois, ils rattrapèrent
les femmes et les emmenèrent au bord de la colline qui surmontait
l'objet de métal. Cordovir considéra le problème.
" Faites rouler des pierres sur eux, commanda-t-il aux femmes. Vous
pourrez peut-être briser le métal de l'objet. "
Les femmes se mirent à faire rouler des pierres avec une grande
énergie. Quelques-unes frappèrent la surface de l'objet.
Aussitôt, des lignes de feu rouges en sortirent et des femmes furent
tuées. Le sol trembla.
" Retirons-nous un peu plus loin. dit Cordovir. Les femmes ont la
situation bien en main maintenant. Et ce sol qui tremble me donne le vertige."
Tous les hommes le suivirent à distance sûre et, de là,
ils observèrent ce qui se passait.
Les femmes mouraient à droite et à gauche, mais leur troupe
était renforcée par l'afflux des femmes d'autres villages,
où le bruit de la menace s'était répandu. Elles combattaient
pour leurs foyers, pour leurs droits, plus féroces qu'aucun homme
ne l'eût été. L'objet de métal, sur lequel
pleuvaient les pierres continuait à jeter du feu vers la colline;
Puis, une grosse traînée de feu sortit de l'une de ses extrémités.
Il y eut un glissement de terrain au moment où l 'objet s'élevait
en l'air. Il manqua de peu le sommet d'une montagne, puis il prit de la
hauteur de façon singulière, jusqu'à n'être
qu'une tache sombre contre le plus grand des soleils. Et enfin, il disparut.
Ce même soir, on sut que cinquante-trois femmes avaient été
tuées. C'était un bien, puisque cela limitait le surplus.
Mais le problème ne s'en poserait pas moins de façon plus
aiguë que jamais, puisque, hélas ! dix-sept hommes étaient
morts d'un seul coup.
Cordovir se sentait extrêmement fier de lui. Sa femme avait trouvé
une mort glorieuse dans le combat ; il en prit une autre sur-le-champ.
" II nous faudra tuer nos femmes plus souvent que tous les vingt-cinq
jours, dit-il à la Réunion du soir. Cela jusqu'à
ce que le cours des choses rentre dans la normale."
Les femmes survivantes, de retour dans la réserve, l'entendirent
et applaudirent avec ardeur.
" Je me demande où ces monstres sont allés, suggéra
Hum.
- Sans doute réduire en esclavage quelque race sans défense,
énonça Cordovir.
- Pas nécessairement ". plaça Mishill... et la discussion
du soir commença. Elle se poursuivit fort tard, il y eut quatre
morts, et chacun s'en fut enfin se coucher, soulagé de se retrouver
entre humains.
Traduit par ALAIN DOREMIEUX. The Monsters.
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