C'est le début qui m'a donné le plus de mal.
J'ai d'abord essayé " Jeune garçon, grand, mince, très
beaux yeux turquoise, longs cheveux blonds bouclés, traits réguliers,
élève brillant dans toutes les matières, premier prix de
piano et de banjo, sportif de haut niveau, excellente éducation, charmant,
modeste, distingué... "
Mais c'était un peu long.
Ensuite, j'ai essayé : "Jne gçn, phys. excpt., yx bl., bid
bel., exc. étds, mus. dipl, sptf, bn man., nbr. qual... "
Mais ce n'était pas très clair.
Alors, j'ai essayé : "Jeune garçon, parfaitement parfait...
"
Mais c'était trop sec. Finalement, j'ai trouvé la bonne formulation
:
" Jeune garçon, beau, intelligent, doué, sportif, aimable,
vend skateboard bon état. Tél. 89 24 96 57, heures de repas. "
2 Qui suis-je ?
7 heures (maman) :
- Allez, ma petite marmotte, il est l'heure de se lever.
7 heures 30 (papa) :
- Espèce de cochon, tu ne pouvais pas faire attention ! J'ai maintenant
plein de chocolat sur mon pantalon!
9 heures 26 (M. Loriot, mon professeur de math) :
- Laurent, petit singe, si tu crois que je ne te vois pas faire des grimaces
à Karim !
10 heures 04 (Valérie) :
- Fiche le camp, face de rat, je ne te parle plus.
12 heures 11 (grand-mère) :
- Alors, mon biquet, c'était comment l'école, ce matin ?
14 heures 42 (M. Budus, professeur d'EPS) :
- Mais bouge-toi, espèce d'éléphant, c'est un sprint, pas
une course d'escargots !
15 heures 06 (Bruno, en cours d'histoire-géo) :
- File-moi ta feuille, j'ai pas appris ma leçon ! Oh... sale vache !
17 heures 18 (encore grand-mère) :
- Eh bien, mon lapin, pas trop dur, cet après-midi ?
18 heures 30.
Je suis à la table de la cuisine, un cahier ouvert devant moi. J'ai un
dessin à faire pour demain.
Sujet : Dessinez votre autoportrait.
Ça ne va pas être facile, je crains.
Bernard FRIOT, in Nouvelles Histoires pressées, Milan poche junior, 2000.
3 La Rochefoucauld
Je suis d'une taille médiocre, libre et bien proportionnée. J'ai
le teint brun mais assez uni, le front élevé et d'une raisonnable
grandeur, les yeux noirs, petits et enfoncés, et les sourcils noirs et
épais, mais bien tournés. Je serais fort empêché
à dire de quelle sorte j'ai le nez fait, car il n'est ni camus ni aquilin,
ni gros, ni pointu, au moins à ce que je crois. Tout ce que je sais,
c'est qu'il est plutôt grand que petit, et qu'il descend un peu trop bas.
J'ai la bouche grande, et les lèvres assez rouges d'ordinaire, et ni
bien ni mal taillées. J'ai les dents blanches, et passablement bien rangées.
On m'a dit autrefois que j'avais un peu trop de menton : je viens de me tâter
et de me regarder dans le miroir pour savoir ce qui en est, et je ne sais pas
trop bien qu'en juger. Pour le tour du visage, je l'ai ou carré ou en
ovale ; lequel des deux, il me serait fort difficile de le dire. J'ai les cheveux
noirs, naturellement frisés, et avec cela assez épais et assez
longs pour pouvoir prétendre en belle tête. J'ai quelque chose
de chagrin et de fier dans la mine ; cela fait croire à la plupart des
gens que je suis méprisant, quoique je ne le sois point du tout. J'ai
l'action fort aisée, et même un peu trop, et jusques à faire
beaucoup de gestes en parlant. Voilà naïvement comme je pense que
je suis fait au-dehors, et l'on trouvera, je crois, que ce que je pense de moi
là-dessus n'est pas fort éloigné de ce qui en est.
La Rochefoucauld, Recueil des portraits et éloges, 1659
4 Michel Leiris
Je viens d'avoir trente-quatre ans, la moitié de la vie. Au Physique,
je suis de taille moyenne, plutôt petit. J'ai des cheveux châtains
coupés court afin d'éviter qu'ils ondulent, par crainte aussi
que ne se développe une calvitie menaçante. Autant que je puisse
en juger, les traits caractéristiques de ma physionomie sont : une nuque
très droite, tombant verticalement comme une muraille ou une falaise,
marque classique (si l'on en croit les astrologues) des personnes nées
sous le signe du Taureau ; un front développé, plutôt bossué,
aux veines temporales exagérément noueuses et saillantes. Cette
ampleur de front est en rapport (selon le dire des astrologues) avec le signe
du Bélier ; et en effet je suis né un 20 avril, donc aux confins
de ces deux signes : le Bélier et le Taureau. Mes yeux sont bruns, avec
le bord des paupières habituellement enflammé , mon teint est
coloré ; j'ai honte d'une fâcheuse tendance aux rougeurs et à
la peau luisante. Mes mains sont maigres, assez velues, avec des veines très
dessinées ; mes deux majeurs, incurvés vers le bout, doivent dénoter
quelque chose d'assez faible ou d'assez fuyant dans mon caractère.
Ma tête est plutôt grosse pour mon corps ; j'ai les jambes un peu
courtes par rapport à mon torse, les épaules trop étroites
relativement aux hanches. Je marche le haut du corps incliné en avant
; j'ai tendance, lorsque je suis assis, à me tenir le dos voûté
; ma poitrine n'est pas très large et je n'ai guère de muscles,
J'aime à me vêtir avec le maximum d'élégance ; pourtant,
à cause des défauts que je viens de relever dans ma structure
et de mes moyens qui, sans que je puisse me dire pauvre, sont plutôt limités,
je me juge d'ordinaire profondément inélégant ; j'ai horreur
de me voir à l'improviste dans une glace car, faute de m'y être
préparé, je me trouve à chaque fois d'une laideur humiliante.
Michel LEIRIS, L'âge d'homme, 1939, Gallimard.
5 Portrait
Les lèvres remuent.
Les yeux se plissent.
S'écarquillent.
Les sourcils se rapprochent.
Se froncent.
Les mains s'agitent.
La tête s'incline en avant.
Le nez.
Une moustache.
La mèche de cheveux sur le front.
Peau rosé.
Les rougeurs.
Peau lourde.
Les yeux brillent.
L'ossature des pommettes.
Les oreilles grandes.
Longues.
Le lobe épais.
Les dents sont entr'aperçues.
La cigarette.
La fumée.
La main dissimule la bouche.
La joue s'appuie dans la main.
Un doigt se pose sur le front.
L'ongle luisant.
Suit la ligne du nez.
L'index et le pouce se rejoignent au bord des narines.
Les yeux se refroidissent.
La tête se renverse en arrière.
Les lèvres remuent.
Ils parlent.
Louis CALAFERTE Le Monologue
6 Marguerite Duras
Très vite dans ma vie il a été trop tard. À dix-huit
ans il était déjà trop tard. Entre dix-huit ans et vingt-cinq
ans mon visage est parti dans une direction imprévue. À dix-huit
ans j'ai vieilli. Je ne sais pas si c'est tout le monde, je n'ai jamais demandé.
Il me semble qu'on m'a parlé de cette poussée du temps qui vous
frappe quelquefois alors qu'on traverse les âges les plus jeunes, les
plus célébrés de la vie. Ce vieillissement a été
brutal. Je l'ai vu gagner mes traits un à un, changer le rapport qu'il
y avait entre eux, faire les yeux plus grands, le regard plus triste, la bouche
plus définitive, marquer le front de cassures profondes. Au contraire
d'en être effrayée j'ai vu s'opérer ce vieillissement de
mon visage avec l'intérêt que j'aurais pris par exemple au déroulement
d'une lecture. Je savais aussi que je ne me trompais pas, qu'un jour il se ralentirait
et qu'il prendrait son cours normal. Les gens qui m'avaient connue à
dix-sept ans lors de mon voyage en France ont été impressionnés
quand ils m'ont revue, deux ans après, à dix-neuf ans. Ce visage-là,
nouveau, je l'ai gardé. Il a été mon visage. Il a vieilli
encore bien sûr, mais relativement moins qu'il n'aurait dû. J'ai
un visage lacéré de rides sèches et profondes, à
la peau cassée. Il ne s'est pas affaissé comme certains visages
à traits fins, il a gardé les mêmes contours mais sa matière
est détruite. J'ai un visage détruit.
Marguerite DURAS, L'Amant, éd. de Minuit,1984
7 Vincent Eggericx
Cet autoportrait de Vincent Eggericx a été réalisé en 1996 et est paru dans le numéro 700 de La Quinzaine Littéraire (du 16 au 30 septembre 1996
Questions pour un autoportrait
1 Quand êtes-vous né ? Où ? Comment ?
Je suis né à la Réunion, une île de l'Océan
Indien appartenant à la France ; mais je n'en ai aucun souvenir. Mes
premières années ont dû être agitées, avec
beaucoup de déménagements et de gens différents. En réalité,
je n'ai pas d'informations précises ; et, n'ayant aucun contact avec
ma famille, je n'en aurai probablement jamais.
2Quand allez-vous mourir ? Où ? Dans quelles conditions ?
Je souhaite mourir après l'an 2000. C'est un objectif, un peu stupide,
que je me suis fixé.
3 Avez-vous des enfants ?
Oui, un fils de quatorze ans.
4 Vos livres sont-ils vos enfants ?
Non.
5 À quoi ressemblez-vous ?
Quand je bois, je ressemble assez à la photo. Dans les périodes
où je parviens à réduire ma consommation d'alcool, je deviens
plus incisif, plus sympathique et plus sain.
6 L'écriture vous a-t-elle donné ? Vous a-t-elle pris ?
Sur le plan social, l'écriture m'a tout apporté. Mes seuls amis,
je les ai rencontrés par l'écriture. Bien sûr, il faut tout
donner ; mais je ne regrette rien. C'est probablement la seule manière
dont je pouvais utiliser ce qui était en moi.
7 Quel métier auriez-vous rêvé faire ?
Aucun.
8 En dehors de l'écriture, exercez-vous un autre métier ?
Lequel ?
J'ai trouvé un emploi de fonctionnaire à l'Assemblée Nationale.
J'y étais bien traité. Cependant, dès que j'ai pu, j'ai
pris une disponibilité. Telle est actuellement ma situation : je peux
retourner travailler si je n'ai vraiment plus d'argent ; mais je préfèrerais
continuer ce que j'ai entrepris.
9 Prenez-vous du plaisir à écrire ?
En elle-même, l'écriture ne peut réellement être décrite
comme un plaisir, ni comme une souffrance ; c'est plutôt un état
d'extrême agitation mentale. J'ai l'impression de devoir faire exploser
des cloisons de mon cerveau. Pour compenser cette surexcitation j'essaie de
beaucoup marcher ; ou bien je bois, ce qui me calme.
10 Qu'est-ce qui est beau à vos yeux ?
Le beau n'est pas une catégorie qui m'intéresse énormément.
Cependant, je suis conscient de produire de la beauté : mais c'est une
espèce de processus involontaire, un effet secondaire, la conséquence
d'un rapport entre les parties et les fonctions. Par ailleurs, quand je peux
approcher d'une espèce de vérité, je suis content.
11 Aimez-vous la pornographie ?
Une partie de moi, liée au mouvement général de l'époque,
est assoiffée de pornographie ; mais c'est une partie qui me déplaît.
En général, je m'estime assez peu. Disons qu'il y a des choses
en moi, d'ailleurs présentes chez pas mal d'autres, qui mériteraient
d'être détruites. Bien sûr, c'est devenu plus complexe depuis
que je les décris, car il est clair qu'en les décrivant je participe
à leur destruction.
12 Où habitez-vous ? Comment ? Dans quelles conditions ?
J'habite une HLM que j'ai obtenue par mon travail à l'Assemblée
Nationale. Il y a deux petites pièces, et une cuisine suffisamment grande
pour manger. Le seul point à retenir réside dans le sigle : "
habitation à loyer modéré ". Le reste (quartier, étage...)
n'a plus d'importance.
13 Avez-vous un avenir ?
À part cette petite plaisanterie concernant l'an 2000, je situe entièrement
mon avenir dans le prochain livre à écrire. Je veux dire que je
n'ai pas de vision à long terme : je souhaite simplement parvenir à
écrire un certain livre. Après, je ne sais pas.
8 Enfin deux lettres primées au concours de "la lettre-autoportrait" de Manosque.
Monsieur le Directeur,
Aujourd'hui, cela fait six mois que je suis à votre service. Six mois
que je suis postée devant votre bureau, que je prends vos rendez-vous,
filtre vos appels et endure vos commentaires déplacés. Cela fait
six mois que ma colère monte et, puisque vous ne m'écoutez jamais,
j'ai décidé de vous signaler par écrit ces quelques détails
que vous semblez ignorer.
Tout d'abord, je m'appelle Laure et non pas Pauline. J'ai cru pendant un moment
que c'était votre ancienne secrétaire et que vous aviez une mémoire
défaillante mais je commence à croire que c'est le nom de la pute
que vous fréquentez. Je ne suis pas votre pute, notez-le bien en vue
dans votre précieux agenda, et je ne m'appelle pas Pauline.
Deuxièmement, je suis mariée et j'ai trois enfants. Deux belles
petites filles et un garçon, plus âgé. Je sais bien que
ça ne vous intéresse pas, mais maintenant que vous le savez évitez
de me proposer de rester au bureau tard le soir soi-disant pour terminer le
rapport urgent qui traîne depuis trois mois. Je ne suis pas disponible.
Noté ?
Troisièmement, je ne mets pas des jupes pour vous faire plaisir. Quand
vous m'avez dit l'autre jour que vous étiez content que je montre mes
jambes, j'ai failli vous étrangler. Sachez que c'est le coup de fil de
votre femme qui vous a sauvé la vie.
Quatrièmement, sachez que, si l'intelligence ne semble pas être
requise pour votre poste, elle l'est pour le mien. Il m'est déjà
arrivé de travailler pour des cons mais jamais pour des idiots de votre
espèce et je me rends compte que c'est encore plus insupportable.
Enfin, je vous informe que j'en ai assez de voir votre tête de bureaucrate
pervers et de supporter votre incompétence. Vous trouverez les clés
du bureau sur la table et vos papiers urgents dans la poubelle puante du magasin
d'alimentation.
Vous ne me croyez pas ? C'est que vous ne me connaissez pas.
Merde.
Laure (Pcc Anna Manikowska) Rome
Curriculum vitae
1965
Je suis la terre humide dans le creux des racines enfouies.
1971
Je suis les cours de broderie pendant les leçons de morale, ou bien les
leçons de morale pendant les cours de broderie.
1981
Je suis une fleur de pommier qui résiste aux giboulées, pas au
soleil.
1982
Je suis l'étudiant coupé du rapport, le rapport de pi avec la
bissectrice dessinant une courbe en forme de cloche : la parabole.
1983
Je suis un jeune homme qui marche sur un parking gelé, ses baskets faisant
le bruit d'un steak déposé dans une poêle d'huile bouillante.
1984
Je suis le guerrier qui va frapper le feu.
1989
Je suis un petit insecte emmailloté de filaments et qui parvient à
peine à respirer.
1990
Je suis un chantier de poutres écroulées, de barrières
de métal entassées, de stères de bois abandonnées.
1993
Je suis un homme aux yeux voilés parce qu'ils sont trop doux pourvoir
la vérité.
1994
Je suis la femme qui viendrait le demander en mariage et qui serait la seule
à pouvoir contempler ses yeux et lui rendre la vue juste pour qu'il la
voie, elle, et aucune autre.
1997
Je suis une bouche aux dents qui grincent. Elles font un bruit de petits animaux
apeurés.
1998
Je suis l'embrasement du ciel à ma droite, l'eau glacée de ma
nuit à ma gauche.
1999
Je suis celle qui court après un Caddie et que les néons traversent
comme de la bidoche présentée sous plastique, dans un bac étincelant
de blancheur, sous une lumière qui n'est décidément pas
celle du jour.
2000
Je suis le routier qui descend de son camion frigorifique, saute dans le précipice
qui le sépare du sol, un mètre cinquante plus bas, un asphalte
trempé de pluie qui sent l'urine de renard.
2002
Je suis un arbre bleu dans le rêve de celui qui ayant trop bu de rosé
dort en plein soleil.
En espérant vous rencontrer bientôt, je me tiens à votre
disposition pour toute information complémentaire.
Aline Heudeline