DEUTSCH-VOELKISCHE BANK UND
HANDELSGESELLSCHAFT.
MUNICH, ALLEMAGNE
Le 8 décembre 1933
Mr Max Eisenstein
Galerie Eisenstein
San Francisco,
Californie, USA
Cher Max,
Heil Hitler ! Je regrette beaucoup d'avoir de mauvaises nouvelles à
t'apprendre. Ta sœur est morte. Malheureusement pour elle, elle s'est
montrée stupide. Il y a quinze jours, elle est arrivée ici, avec une horde
de SA, qui défilaient sur le chemin, pratiquement sur les talons. La maison
était pleine de monde - Elsa n'est pas bien depuis la naissance du petit
Adolf, le mois dernier. Le médecin était là, ainsi que deux infirmières,
tous les domestiques, et les enfants qui couraient partout.
Par chance, c'est moi qui ai ouvert la porte. Tout d'abord, j'ai cru
voir une vieille femme, puis j'ai vu son visage - et j'ai vu aussi les
SA qui passaient déjà devant les grilles du parc. J'avais une chance sur
mille de pouvoir la cacher. Une domestique pouvait surgir à tout moment.
Avec Elsa couchée là-haut, malade, comment aurais-je pu supporter que
ma maison fût mise à sac ? Et pouvais-je courir le risque d'être arrêté
pour avoir tenté de sauver une Juive et de perdre tout ce que j'avais
construit ici ? Bien sûr, en tant que patriote, mon devoir m'apparaissait
clairement. Elle avait montré sur scène son corps impur à des jeunes Allemands
: je devais la retenir et la remettre sur-le-champ aux SA.
Mais cela, je ne l'ai pas fait. Je lui ai dit :
" Tu vas tous nous faire prendre, Griselle. Cours vite te réfugier
de l'autre côté du parc. " Elle m'a regardé dans les yeux, elle a
souri, elle m'a dit: " La dernière chose que je souhaite, Martin,
c'est te nuire ", et elle a pris sa décision (elle a toujours été
une fille courageuse).
Elle devait être épuisée car elle n'a pas couru assez vite et les
SA l'ont repérée. Je suis rentré, impuissant ; quelques minutes plus tard,
ses cris s'étaient tus. Le lendemain matin, j'ai fait transporter son
corps au village pour l'enterrer. C'était stupide de sa part d'être venue
en Allemagne. Pauvre petite Griselle... Je partage ta peine mais, comme
tu vois, je ne pouvais pas l'aider.
Maintenant je dois te demander de ne plus m'écrire. Chaque mot qui
arrive dans cette maison est désormais censuré, et je me demande dans
combien de temps, à la banque, ils se mettront à ouvrir le courrier. Je
ne veux plus rien avoir à faire avec les Juifs, mis à part les virements
bancaires et leurs reçus. C'est déjà bien assez fâcheux pour moi qu'une
Juive soit venue chercher refuge dans mon domaine. Je ne tolérerai plus
d'être associé d'une manière ou d'une autre avec cette race.
Martin
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